Plus de 18 mois après avoir été annoncés par la Coalition avenir Québec, les projets pilotes de protection de l’habitat du caribou n’ont pas été livrés. Le rapport de consultation est toujours à l’état de « brouillon » et ce dernier ne contiendra aucune recommandation destinée aux élus. Entretemps, la priorité va à l’économie, maintient le gouvernement Legault sur fond de guerre tarifaire et de crise dans l’industrie forestière.
Annoncés au printemps 2024 par l’ex-ministre de l’Environnement, Benoit Charette, les projets pilotes prévoient des modifications réglementaires et la création de nouveaux habitats fauniques permettant de restaurer des pans de territoire essentiels au cervidé. Québec envisage également l’ajout de massifs de conservation dans son habitat propice.
Selon les zones dont les contours restent encore à définir, il était prévu de restreindre la récolte forestière ou carrément de l’interdire. D’autres activités économiques seraient aussi davantage encadrées.
Les projets pilotes en question ciblent la harde de caribous forestiers de Charlevoix ainsi que le caribou montagnard de la Gaspésie. Les deux populations sont toujours dans un état critique malgré des naissances en captivité.
Les projets ont fait l’objet de consultations publiques l’an dernier. Elles devaient prendre fin le 30 juillet 2024, avant d’être repoussées au 31 octobre de la même année par Benoit Charette.
Plus d’un an après la fin de l’exercice, le rapport n’a pas été produit, a-t-on constaté.
Le rapport de consultation est encore à l’état de brouillon et n’est pas complété, a confirmé la semaine dernière le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), en réponse à une demande d’accès à l’information.
Territoires ciblés par le projet pilote de conservation du caribou forestier de Charlevoix. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy
Les projets pilotes ont pour cible de maintenir un taux de perturbation de l’habitat du caribou à un maximum de 35 %. Dans les deux régions concernées, ce taux frôlait 90 % au moment de l’annonce du gouvernement. Ce dérangement est principalement causé par les activités humaines.
Selon Environnement et Changement climatique Canada, un taux de 35 % ne laisse que 60 % de chance de survie à une harde de caribous forestiers. Si rien n’est fait, de nombreux experts craignent la disparition de ces hardes isolées.
Aucune recommandation
Le rapport ne formulera aucune orientation particulière aux élus, a-t-on aussi appris. Selon Québec, le document ne fera que résumer le contenu des mémoires et des échanges tenus dans le cadre de la tournée gouvernementale.
Le rapport de consultation ne contiendra pas de recommandation. Il contiendra plutôt des éléments factuels qui ont été soulevés lors de la consultation publique, explique Ève Morin Desrosiers, porte-parole au MELCCFP, précisant qu’il est trop tôt pour déterminer les éléments qui seront retenus ou non de la consultation publique.
Le ministère laisse entendre que le travail d’analyse et de collecte de données n’est pas terminé.
D’autres intrants devront aussi être considérés dans la suite des projets pilotes, notamment ceux des consultations distinctes des communautés autochtones qui sont toujours en cours, ajoute-t-on.
Le caribou montagnard de la Gaspésie est une espèce distincte et est en voie de disparition. (Photo d’archives). Photo : Radio-Canada
Qui plus est, Québec n’a toujours aucun échéancier pour la mise en application des mesures prévues aux projets pilotes.
Les prochaines étapes consisteront à la finalisation des mesures de conservation retenues pour les projets pilotes et à leur adoption par le gouvernement du Québec. Ensuite, les mesures retenues pourront être mises en œuvre. À ce jour, aucun échéancier n’est déterminé pour ces étapes.
Multiples reports
Ce rapport de consultation s’ajoutera donc au florilège de documents déjà produits sur le caribou forestier et le caribou montagnard au cours des dernières années, voire des dernières décennies.
En plus d’une méta-analyse commandée en 2019, Québec détient le rapport de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, et ce, depuis 2022. Les commissaires avaient alors conclu qu’il y avait « urgence d’agir » et que des mesures de protection supplémentaires étaient nécessaires.
Invité à livrer sa vision du dossier, le nouveau ministre de l’Environnement, Bernard Drainville, n’a pas offert de détails ni de réflexion particulière.
Nous sommes à analyser les bilans des consultations sur les projets pilotes. Il n’y a aucune nouvelle orientation du gouvernement à ce moment-ci, a indiqué son cabinet, dont la réaction tenait dans cette unique phrase.
Bernard Drainville est ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. (Photo d’archives). Photo : Radio-Canada / André Vuillemin
Sous la Coalition avenir Québec, la nouvelle stratégie de protection du caribou forestier et montagnard, promise sous les libéraux en 2016, a été reportée à de nombreuses occasions. Le plan devait être présenté en 2018, puis en 2019, avant d’être repoussé à moult reprises depuis.
En 2023, pressé d’agir par le gouvernement fédéral, Québec a brandi les feux de forêt pour obtenir un délai supplémentaire.
La stratégie s’est presque rendue jusqu’à l’agenda du conseil des ministres pour une adoption à l’hiver 2024, avant d’être écartée en raison d’une dissension au sein du caucus caquiste, dont une partie s’inquiétait des impacts économiques dans les régions dépendantes de l’industrie forestière.
Deux mois plus tard, Québec présentait ses deux projets pilotes plutôt qu’une stratégie nationale, sans études d’impacts économiques ou écologiques pour les appuyer. Les projets pilotes ont suffi à faire relâcher la pression du côté fédéral, qui n’a toutefois pas encore totalement écarté la possibilité d’une intervention au Québec par décret d’urgence. Quelque 35 000 km2 de territoire étaient ciblés.
Puis en mars dernier, l’ex-ministe Benoit Charette a déclaré qu’il n’allait pas imposer lesdits projets pilotes s’il n’y avait pas d’adhésion dans les milieux concernés.
Crise forestière
Les craintes de contrecoups économiques d’une protection accrue du caribou forestier s’opposent à la conservation depuis des années.
Plus récemment, le gouvernement de François Legault parle des tarifs imposés sur le bois d’œuvre par les États-Unis et de l’importance de soutenir l’industrie forestière dans cette tempête.
Dès février dernier, l’ex-ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, appelait à la solidarité envers les communautés qui vivent de la forêt, affectées par les offensives économiques du président Donald Trump.
Dans le contexte actuel de guerre tarifaire avec les Américains, nous avons la responsabilité d’offrir de la prévisibilité à nos entreprises et à nos communautés, déclarait alors son cabinet.
L’industrie forestière vit des temps troubles en raison du contexte économique et des tarifs américains. (Photo d’archives). Photo : Radio-Canada / Roxanne Langlois
Son successeur, Jean-François Simard, va dans le même sens et a promis de soutenir l’industrie, d’autant que les États-Unis ont resserré l’étau sur le bois canadien.
Nous faisons face à une crise forestière majeure. Notre priorité, c’est de soutenir les travailleurs et de maintenir l’activité économique dans nos régions. Nous travaillons étroitement avec les entreprises forestières afin de les aider à diversifier leurs activités et à traverser cette période difficile, nous écrit son cabinet.
La semaine dernière, le premier ministre François Legault a déclaré que la moitié des 60 000 emplois du secteur forestier étaient en jeu au Québec.
Absurde
Les organismes environnementaux craignaient déjà que les tarifs ne deviennent un prétexte pour reporter de nouveau la stratégie de protection du caribou forestier.
Déjà déçus que seule une stratégie partielle ait été présentée par le Québec jusqu’ici, ils critiquent aujourd’hui les longs délais derrière les projets pilotes. C’est absurde de prendre un an pour rédiger un simple rapport de consultation sans recommandations, déplore Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec.
Mme Simard rappelle que le fédéral a l’obligation d’intervenir au Québec si la province n’en fait pas assez, tel que prévu dans la Loi sur les espèces en péril au Canada. Elle constate toutefois que la pression a diminué sous le gouvernement de Mark Carney. L’inaction des deux paliers de gouvernement dans ce dossier est complètement irresponsable.
« En plus de faillir à leurs obligations de protection des espèces menacées, le fédéral et le provincial manquent de respect envers les communautés qui attendent depuis des années des orientations claires. »
Une opportunité
Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP Québec), croit que la crise forestière actuelle devrait être vue comme une opportunité. Nos gouvernements n’ont pas encore compris que l’avenir de l’industrie forestière, de ses travailleurs, de la forêt et du caribou est lié, soutient-il.
Le biologiste n’en a pas contre les fonctionnaires gouvernementaux. Il rappelle que des travaux d’envergure ont été menés ces dernières années afin d’accoucher d’un plan de protection gobal du caribou forestier et du caribou montagnard.
Malgré un effort colossal du ministère de l’Environnement du Québec pour produire la stratégie caribou attendue depuis 2016, le gouvernement continue d’opter pour le maintien du statu quo, notamment pour des raisons électoralistes, tranche-t-il. C’est un scénario similaire qui se déploie au fédéral.
M. Branchaud estime qu’il est temps de dépolitiser le dossier. Son organisme milite notamment pour la mise en place d’un observatoire indépendant de la forêt publique.