Source: Radio-Canada

Publié le 4 Décembre 2019

Le gouvernement du Québec compte abattre des loups cet hiver et procéder au démantèlement de chemins forestiers pour protéger les caribous de Val-d’Or. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) rejette toutefois l’idée d’une protection intégrale du territoire. La stratégie retenue est mal accueillie par des biologistes et militants.

Radio-Canada a appris que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs rejette l’idée de création d’une nouvelle aire protégée sur le territoire du caribou de Val-d’Or, qui s’ajouterait à celle actuelle. Ce n’est pas envisagé, car le territoire est fortement utilisé, notamment pour la villégiature, la chasse et la pêche ainsi que pour certaines activités industrielles, mentionne par courriel l’équipe des relations avec les médias du MFFP.

L’approche retenue vise plutôt à adapter l’aménagement forestier pour diminuer le taux de perturbations, dont le démantèlement de chemins, précise-t-on. Le MFFP procédera aussi à l’abattage d’une dizaine de loups cet hiver, qu’on juge responsable de la mort de certains caribous. En raison des chemins forestiers, les loups peuvent plus facilement se déplacer sur le territoire et attaquer leurs proies.

Chances de succès?

Selon le biologiste à l’Université du Québec à Rimouski, Martin-Hugues St-Laurent, reconnu pour ses connaissances quant aux enjeux liés au caribou, la stratégie du gouvernement ne va nulle part. Selon lui, les chances de succès sont conditionnelles à l’application d’un ensemble de mesures, dont le contrôle des prédateurs, la mise en enclos des femelles, la fermeture de chemins et la fin de l’exploitation forestière. On ne peut pas choisir une partie de la recette, il faut que la recette soit là au complet, martèle-t-il.

« Si on s’attaque juste au contrôle des prédateurs, si on referme des chemins, mais qu’on ne freine pas l’aménagement forestier, on ne protège pas le massif de forêt. Donc, on ne va nulle part. »

Martin Hugues St-Laurent, biologiste

L’équipe du ministère abondait également dans le même sens que le biologiste en 2018. Le rapport sur la situation du caribou de Val-d’Or, publié en mars, mentionnait que sans un ensemble de mesures, dont la mise en enclos des femelles, il serait peu probable que la population subsiste jusqu’à l’atteinte d’un taux de perturbation acceptable.

Attendre jusqu’en 2023

Le ministre Pierre Dufour a entamé une réflexion sur la stratégie de protection du caribou qui pourrait mener à d’autres actions en 2023. Le ministère indique d’ailleurs par courriel que d’autres mesures de gestion des populations sont à l’étude en ce moment en ce qui concerne les caribous de Val-d’Or.

M. St-Laurent croit que l’échéancier est imprudent et qu’Il faut agir beaucoup plus rapidement. Il se demande s’il ne s’agit pas d’une stratégie pour « gagner du temps ». Le goût que ça laisse en bouche, c’est qu’on essaye de gagner du temps en espérant que la harde s’éteigne puis après ça on se dit « bon bien OK maintenant, on arrête de se casser la tête avec ça puis on libéralise l’accès aux ressources », peste-t-il.

L’Action boréale fustige le ministère

Le président de l’Action boréale, Henri Jacob, soutient avoir préparé un plan de rétablissement du caribou, incluant l’instauration d’une nouvelle aire protégée plus conséquente que celle actuelle, en consultant régulièrement le ministère. Il déplore aujourd’hui que le MFFP soit opposé à l’idée d’une aire protégée. C’est à sa demande [ministre Pierre Dufour] qu’on a travaillé pendant trois semaines à temps plein à mettre en place le projet qu’on a présenté à son cabinet, soutient-il. Jamais quelqu’un ne nous a dit que ce projet n’avait pas de sens.

« Ce qui est aberrant, c’est qu’au lieu de nous dire au départ qu’ils n’avaient pas l’intention d’aller de l’avant, ils nous ont demandé de préparer un plan, puis maintenant, on n’a plus aucun contact, malgré nos demandes de rencontre. »

Henri Jacob, président de l’Action boréale

M. Jacob promet de relancer la mobilisation. Le ministère nous dit qu’il n’y a plus aucune collaboration possible, alors on va retourner en opposition, s’exclame-t-il. S’il n’y a pas d’action sérieuse rapidement, pas en 2023, le troupeau va disparaître. Mais il ne disparaîtra de façon incognito, on va s’organiser pour que les gens sachent que c’est de la faute du ministère responsable des forêts.

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, a refusé notre demande d’entrevue à ce sujet.

Par courriel, son attaché politique, Carl Charest,  nous a toutefois envoyé une énumération d’information en guise de réponse du ministre. Il mentionne notamment qu’il faudra 40 ans en arrêtant tout développement pour que l’habitat devienne favorable au caribou et que le « dérangement par les usagers du territoire est aussi une menace ». Finalement, il rappelle qu’il y a une aire protégée de 400 km2 à Val-d’Or et que le loup gris et l’ours noir sont « la première cause de mortalité des caribous ».

Le maire de Val-d’Or voit d’un bon œil l’approche actuelle

Le maire de Val-d’Or, Pierre Corbeil, qualifie l’approche du ministère de « pragmatique ». Il estime qu’il serait difficile d’agrandir l’aire protégée. La zone en question est très densément occupée par des baux d’abris sommaires, des baux de villégiature, même la forêt récréative se retrouve en partie dans le territoire visé, souligne-t-il.

Il estime que les interventions futures doivent assurer une conciliation des usages. Il est là le défi, c’est d’essayer de manœuvrer et de réaliser de façon consensuelle, ou du moins un consensus le plus large possible, des mesures qui font en sorte qu’on peut atteindre des objectifs de conservation, mais aussi poursuivre des objectifs d’occupation pour chasse, pêche, VTT, motoneige, souligne-t-il. Il y a des choses qu’on peut faire, puis des choses qui ne sont pas nécessairement acceptables.