DES UNIVERSITAIRES / Il est beaucoup question ces jours-ci du caribou forestier, une espèce animale classée comme vulnérable au Québec. Le problème est loin d’être nouveau, mais notre gouvernement actuel, comme la plupart de ceux qui l’ont précédé, préfère lancer des études et des consultations, au lieu d’appliquer le seul remède efficace : serrer la vis à l’industrie forestière.

Publié le 28 mai 2022

Sources : Clément Fontaine, Le Nouvelliste Numérique


Les plus grands prédateurs naturels du caribou sont le loup gris et l’ours noir, mais l’homme blanc qui gruge son habitat demeure son pire ennemi, de l’avis des communautés autochtones. En effet, ce magnifique cervidé est, avant tout, victime de la mauvaise gestion du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui privilégie depuis longtemps les intérêts du secteur privé au détriment de la préservation de la biodiversité.

Le Québec, comme le Canada, abat deux fois plus d’arbres qu’il n’en consomme. Même si les produits issus de la deuxième et de la troisième transformations de la matière ligneuse ont connu un essor ces dernières années, ils ne suffisent pas à freiner l’appétit de l’industrie pour les exportations de bois d’œuvre vers les États-Unis.

Le constat s’applique à plusieurs autres secteurs de notre économie, comme l’exploitation minière, seconde cause en importance du déclin du caribou forestier. Le Québec peine à sortir de son rôle traditionnel de pourvoyeur de ressources naturelles, lesquelles ne sont pas inépuisables.

L’État reçoit des redevances sur les exportations de matières premières, mais la population voit son accès aux vieilles forêts publiques diminuer, notamment dans le sud de la province. À en juger par le faible nombre d’aires protégées annoncées, il est peu probable que notre ministre de l’Environnement atteigne les objectifs qu’il s’est fixés pour 2030.

Ajoutez à cela l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, qui semble parfois servir de prétexte à l’industrie pour effectuer des coupes destructrices dans le paysage.

Des emplois artificiellement maintenus

Les travailleurs et leurs syndicats justifient la surexploitation de la forêt par la nécessité de préserver des emplois dans les régions. Pourtant, dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, il ne devrait pas être si difficile de se réorienter dans d’autres domaines.

Il y a quelques décennies déjà, les analystes avaient prévu une profonde transformation du marché de l’emploi afin de répondre aux besoins d’une société en pleine mutation. Un travailleur ne peut plus espérer gagner sa vie de la même façon jusqu’à l’âge de la retraite. Il appartient aux individus de se re-qualifier si nécessaire pour demeurer utiles à la collectivité, et non l’inverse. Et il revient au gouvernement de faciliter ces changements de carrière.

Trop d’ouvriers de la foresterie semblent incapables d’envisager de faire autre chose que de couper des arbres au moyen d’une machinerie qui dévaste tout sur son passage, multipliant les chemins d’accès qui, une fois abandonnés, contribuent à la dégradation de l’écosystème forestier.

En plus de constituer une menace pour les zones de conservation d’essences végétales fragiles et les activités récréotouristiques, le zèle de l’industrie forestière ne peut que nuire à la faune. Le caribou forestier, que l’on parque dans des enclos pour prolonger sa survie, n’est qu’un triste exemple parmi d’autres.

Persistance du gaspillage

La pâte à papier fabriquée à partir de copeaux de résineux sert à la fois à la fabrication du papier journal et à l’impression de circulaires publicitaires. Alors que la demande pour la première utilisation diminue en raison de l’abandon progressif du support physique par nos quotidiens, la production de circulaires réussit à se maintenir, surtout grâce au fameux Publisac.

Le Québec est sans doute le seul endroit au monde où tous les ménages reçoivent chaque semaine un gros paquet de circulaires qu’ils n’ont pas demandés et qu’ils sont en mesure de consulter sur Internet au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone portable.

Montréal vient d’envoyer un signal fort avec un règlement qui limitera à partir de mai 2023 la distribution du Publisac aux seuls résidents qui en font la demande.

Au Publisac s’ajoutent les autres imprimés publicitaires déposés d’office dans nos boîtes aux lettres. Et ils ne proviennent pas tous de petits commerçants locaux dont c’est le moyen le plus économique de se faire connaître.

Patrons et syndicats s’accordent encore ici pour dire que cette autre forme de gaspillage devrait se poursuivre afin de conserver des emplois, fussent-ils moins utiles, voire nuisibles. Les usines de triage des produits du recyclage ne savent plus quoi faire de toutes les circulaires entassées dans les bacs bleus et qui, dans bien des cas, n’ont même pas été retirées de leur enveloppe de plastique.

Privilégier la biomasse

À l’heure de la transition énergétique, davantage de résidus forestiers provenant de la coupe et du sciage gagneraient à être valorisés chez nous sous forme de biomasse. (À ne pas confondre avec le biométhane qui est issu de la décomposition de matières organiques, comme celles des dépotoirs domestiques.)

Entreprises et gouvernements, appuyés par des organismes de conservation comme Nature Québec, considèrent de plus en plus la biomasse forestière résiduelle comme une solution de remplacement écologique aux combustibles fossiles.

Au lieu de se transformer en imprimés encombrants, les rebuts de bois peuvent produire de la chaleur, donc de l’énergie. La biomasse peut ainsi servir à remplacer le mazout, le gaz de schiste et le propane, là où l’usage de l’hydroélectricité seule n’est pas compétitif. Par exemple en agriculture, pour certains usages industriels et pour le chauffage des bâtiments.

L’exportation de la biomasse sous forme de granules demeure relativement écologique lorsqu’elle est destinée à remplacer le charbon utilisé par les centrales électriques à l’étranger.

Le canari dans la mine

Lors des récentes audiences publiques de La Commission indépendante sur les caribous forestiers tenues au Saguenay-Lac-Saint-Jean, la représentante du groupe régional du mouvement Mères au front a été la première à interpeller les commissaires lors de la présentation des mémoires. Anne-Marie Chapleau n’a pas hésité à parler du caribou comme étant le canari dans la mine. Une référence au rôle préventif que jouait jadis cet oiseau dans les dangereuses mines de charbon.

Une image frappante qui nous renvoie au sombre pronostic d’une extinction de masse.

Qu’attendons-nous pour faire écho à cette mère de famille?

Humains, caribous forestiers, bélugas, rainette faux-grillon et de nombreuses autres créatures vivantes logent à la même enseigne de la vulnérabilité. Toutes se retrouvent dans le même bateau, dans la même arche en quelque sorte. Cependant, seule la première de ces espèces, la nôtre, a le pouvoir de changer les choses.