Source: Le Devoir

Publié le 17 Décembre 2019

Des voix s’élèvent pour dénoncer la décision du gouvernement Legault d’annuler les mesures de protection sur trois territoires naturels mises en place pour préserver l’habitat du caribou forestier, afin d’offrir de nouveaux secteurs de coupes à l’industrie forestière. Des professeurs et chercheurs universitaires demandent à Québec de revenir sur sa décision, tandis que le Conseil des Innus de Pessamit réclame une meilleure protection de ce cervidé intimement lié à leur culture.

Dans une lettre obtenue par Le Devoir et adressée au ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, un total de 59 professeurs et scientifiques universitaires critiquent la décision, annoncée par voie de communiqué, de retirer le statut de conservation de trois massifs forestiers situés dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean et qui faisaient l’objet d’une « protection administrative » interdisant l’abattage industriel d’arbres.

« Qu’avez-vous l’intention de faire, concrètement, pour protéger le caribou forestier et son habitat ? Votre décision d’ouvrir des massifs de forêt mature (460 kilomètres carrés) à l’exploitation forestière ne va certainement pas dans ce sens si l’on se fie à nos connaissances sur les exigences écologiques de l’espèce », soulignent les auteurs de cette lettre.

Ces territoires, qui seront ouverts aux forestières, avaient d’ailleurs été identifiés comme des habitats propices pour le caribou. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs affirme toutefois désormais que « les données récentes issues du système de suivi démontrent l’absence de localisation de caribous dans ces secteurs ».

Fait à noter, les données du ministère sur ces territoires ne comprennent pas d’inventaire aérien récent, puisque le prochain est prévu à l’hiver 2020, révélait Le Devoir la semaine dernière. Le plus récent relevé de ce type (une étape inscrite dans les mesures du « plan d’action gouvernemental » pour protéger l’habitat du caribou et assurer un « suivi rigoureux » des populations) remonte à 2012. Des caribous avaient alors été observés dans au moins un des trois massifs, soit celui situé le long de la rivière Péribonka.

Culture innue

Ce massif est d’ailleurs situé dans un secteur où la communauté innue de Pessamit réclame la mise en place d’une aire protégée dite du Pipmuacan, sur un territoire « irremplaçable pour la pratique et la transmission de la culture innue ». Ce territoire est aussi considéré comme un habitat important du caribou forestier, une espèce considérée comme « menacée », depuis près de 20 ans.

Par voie de communiqué le Conseil des Innus de Pessamit a donc réitéré mardi son intention de « protéger le Pipmuacan ». « Force est de constater que les enjeux de l’industrie forestière prennent toujours le dessus sur les enjeux de biodiversité et les enjeux autochtones. Il faut que cela change », a fait valoir Éric Kanapé, conseiller politique pour la Première Nation de Pessamit.

Selon la communauté innue, « le déclin du caribou forestier au Québec témoigne de ce déséquilibre écologique. Reconnue comme espèce parapluie associée aux vieilles forêts, son déclin nous envoie le signal d’alarme que la foresterie actuelle québécoise ne permet pas de maintenir la biodiversité d’origine de nos forêts boréales ».

« Les Innus de Pessamit ont cessé depuis plus de dix ans le prélèvement de ce gibier, sacrifiant ainsi une partie importante de leur culture. En retour, quels ont été les sacrifices des forestières qui sont scientifiquement reconnues comme étant la principale cause du déclin de l’espèce ? Quelles ont été les actions concrètes du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs durant ces années, où le déclin n’a fait que s’accentuer ? Il est grand temps que le gouvernement du Québec prenne ses responsabilités », selon Éric Kanapé.

« Tour d’ivoire »

Pour le moment, et en l’absence de nouveau bilan disponible, on estime la population de caribous forestiers à 6000 à 8500 individus au Québec. L’objectif du Plan de rétablissement est d’atteindre au moins 11 000 caribous. Mais le gouvernement Legault a décidé de repousser à 2023 la mise en oeuvre d’une « stratégie » de protection des caribous.

Confronté aux critiques des scientifiques qui étudient depuis plusieurs années ce cervidé menacé, le ministre Pierre Dufour a répliqué mercredi dernier en affirmant qu’un de ces chercheurs, le professeur Martin-Hugues St-Laurent, de l’Université du Québec à Rimouski, était « assis » dans une « tour d’ivoire ».

Le ministre a présenté ses excuses vendredi. « Je suis tout à fait conscient que les propos que j’ai tenus à ce moment ont offensé les membres de la communauté scientifique. Je tiens par conséquent à présenter mes humbles excuses. Il n’a jamais été de ma volonté de minimiser l’apport de nos scientifiques sur un sujet aussi important que la conservation des espèces menacées tel que le caribou forestier », a-t-il affirmé, dans une déclaration officielle.