Le gouvernement veut conserver plus de territoire tout en autorisant des projets qui nuisent à la nature.

Source: Alexandre Shields, Le Devoir

« Comment ça va ? » Ces trois mots servent souvent d’introduction pour prendre des nouvelles de quelqu’un. Cet automne, Le Devoir s’inspire de cette expression pour tâter le pouls de notre monde. Dans ce texte : la protection de notre biodiversité.

Malgré l’engagement du gouvernement du Québec à protéger davantage de milieux naturels, la biodiversité continue de subir des reculs, essentiellement en raison des activités humaines qui nuisent aux écosystèmes et qui menacent notre capacité de faire face à la crise climatique. Entre déclin et décisions contradictoires des élus, comment se porte cette diversité biologique essentielle à nos vies ?

« Il est difficile de répondre à cette question, parce qu’il n’y a jamais eu de bilan sur l’état de la biodiversité au Québec, que ce soit universitaire ou gouvernemental », laisse tomber d’entrée de jeu Dominique Gravel, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie intégrative à l’Université de Sherbrooke.

Selon lui, un tel portrait de la situation serait un outil très précieux. Mais même en l’absence de cette vue d’ensemble, le Québec est déjà bien au fait des principales menaces qui pèsent sur la biodiversité. « La localisation des espèces menacées et vulnérables est bien documentée et on sait que les pressions les plus importantes sont dans le sud du territoire. Ce sont d’ailleurs les régions où il y a la plus grande biodiversité et le plus grand nombre d’espèces menacées, mais où il y a le moins d’aires protégées. C’est un peu paradoxal. »

L’État québécois détient donc toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions qui respectent les engagements de son Plan nature 2030 et ceux pris dans le cadre de l’Accord mondial Kunming-Montréal, signé en 2022. Or, non seulement l’étalement urbain, l’agriculture et l’artificialisation généralisée du territoire ont grugé la majorité des milieux naturels méridionaux, mais le gouvernement Legault continue d’autoriser des projets nuisibles à la biodiversité là où elle est déjà sérieusement compromise, déplore M. Gravel.

Il cite en exemple la récente destruction des milieux naturels de « haute valeur écologique » du terrain du défunt projet Northvolt, en Montérégie. Les experts du ministère de l’Environnement avaient pourtant souligné que le site était « un des rares milieux naturels résiduels » dans la région et « un massif de milieux naturels » d’une grande « diversité ». Preuve de son importance pour la faune, on y retrouvait plusieurs espèces en péril et pas moins de 140 espèces d’oiseaux y avaient été recensées.

Plus tôt cette année, le gouvernement a par ailleurs eu recours à un projet de loi adopté sous le bâillon pour permettre à Stablex d’étendre son dépotoir de déchets dangereux de Blainville en détruisant 278 000 m2 de milieux humides et 529 000 m2 de zones boisées. Plus de la moitié de ces milieux naturels voisins d’une tourbière jugée « exceptionnelle » et abritant des espèces menacées étaient pourtant protégés par la Communauté métropolitaine de Montréal.

Loi à moderniser

Pour espérer corriger le tir, le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP Québec), Alain Branchaud, estime qu’il serait d’abord urgent de moderniser la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables. « Ça fait longtemps qu’on dit que la loi doit être modernisée, mais il n’y a toujours pas eu d’avancées », dénonce-t-il.

À titre de comparaison, la Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral prévoit des mesures pour la préservation de l’« habitat essentiel » des espèces, pour l’imposition d’un « décret » d’urgence en cas de menace imminente et pour la protection des « individus » d’une espèce. Rien de cela n’existe en vertu de la législation québécoise.

M. Branchaud et Gravel estiment aussi que la « volonté politique » fait défaut depuis plusieurs années au Québec pour la protection de certains milieux naturels, le plus souvent afin de prioriser des intérêts industriels. Ils citent en exemple le cas de la forêt boréale et du caribou forestier. Résultat : 11 des 13 populations risquent l’extinction, principalement en raison des conséquences de l’exploitation forestière.

Les scientifiques ont pourtant démontré que la conservation des habitats de ce cervidé jadis abondant serait bénéfique pour la biodiversité. Cette espèce est dite « parapluie », ce qui signifie que sa préservation permettrait de protéger des écosystèmes essentiels à plusieurs autres espèces fauniques et floristiques.

Le directeur général de la SNAP Québec espérait qu’un premier pas serait franchi grâce aux « projets pilotes » qui avaient été annoncés l’an dernier par l’ancien ministre de l’Environnement Benoit Charette. Il était alors question de trouver des solutions pour tenter d’éviter l’extinction des hardes de Charlevoix et de la Gaspésie, dont les bêtes sont pour l’essentiel réduites à la captivité, en raison de la destruction de leurs habitats. Même si le processus se poursuit, Alain Branchaud se dit convaincu que Québec a laissé tomber l’idée d’aller de l’avant avec les projets.

Il entrevoit tout de même des gains significatifs en matière de protection de la nature au cours des prochaines années, jugeant que le gouvernement a posé les jalons qui permettront d’atteindre la cible de protection de 30 % des milieux naturels terrestres et maritimes d’ici 2030. Un « appel à projets » auquel la SNAP Québec collabore a notamment permis de répertorier plus de 400 projets de protection dans différentes régions. « Le potentiel est énorme », y compris dans le sud de la province, résume M. Branchaud.

Si le Québec veut se donner une chance de pouvoir faire face aux impacts majeurs de la crise climatique, il doit impérativement protéger davantage ses milieux naturels, soulignait d’ailleurs l’an dernier le Groupe d’experts en adaptation aux changements climatiques dans un document remis au gouvernement. Notre résilience passe par une accélération de « la protection des écosystèmes naturels et de la biodiversité », peut-on lire dans ce rapport proposant de fixer « un objectif de zéro artificialisation » des sols.

Selon Dominique Gravel, il est donc important de parler davantage des bénéfices de la protection et de la valeur des services rendus par les écosystèmes. « Il y a un peu plus d’intérêt depuis la COP15, mais il y a quand même un déficit majeur sur le plan de la communication » liée aux enjeux de biodiversité. « Ça se reflète dans les politiques publiques », mais aussi dans « l’attention » que les partis politiques accordent à ces questions dans leurs programmes.

Il prévient toutefois que les compressions récentes annoncées au ministère de l’Environnement auront des répercussions sur notre capacité à protéger nos espaces naturels et à restaurer ceux qui ont été dégradés, qui plus est dans un contexte où le gouvernement veut accélérer l’autorisation de projets économiques. Ces lacunes auront des coûts pour la société, souligne-t-il, mais il estime qu’ils ne sont pas pris en compte dans les décisions.

Le Québec en route vers sa cible de protection du territoire, assure le ministre Bernard Drainville

Le nouveau ministre de l’Environnement du Québec, Bernard Drainville, se dit convaincu de pouvoir protéger 30 % du territoire de la province « d’ici 2030 », comme il s’y est engagé, indique son cabinet dans une réponse écrite. Le ministre cite en exemple « l’appel à projets », qui permettra de créer de nouvelles aires protégées au terme de la « concertation régionale » qui est déjà en cours.

« À noter qu’en décembre 2020, le Québec a atteint une cible intérimaire de 17 % de protection, soit 257 528 km², faisant de lui la juridiction canadienne qui protège la plus grande part de son territoire », précise le cabinet de Bernard Drainville.

En milieu marin, le taux de protection atteint présentement 12,3 %, selon les données fournies par le ministère. La protection est toutefois appelée à augmenter sous peu, grâce au projet d’agrandissement du parc marin du Saguenay—Saint-Laurent, qui est en bonne voie de se concrétiser en partenariat avec le gouvernement fédéral.