Source: Le Devoir 

Publié le 18 février 2020

Alors que les caribous de Val-d’Or sont sur le point de s’éteindre, le gouvernement Legault a annoncé récemment la poursuite des études devant mener à terme au dépôt d’une « stratégie » pour éviter leur disparition. Québec a pourtant en main deux analyses détaillées, produites à la demande du ministère de la Faune, qui démontrent ce qui doit être fait pour sauver la harde. L’une d’elles est entre les mains du gouvernement depuis plus de trois ans.

La petite population isolée de caribous forestiers de la région de Val-d’Or n’a pas dépassé la cinquantaine de bêtes depuis les années 1980, malgré les « plans d’aménagement forestier » mis en place sur une petite partie de leur habitat fortement perturbé, principalement par l’activité forestière et minière. Ils n’étaient plus qu’une vingtaine au début des années 2000, un total de 18 lors du recensement de 2016 et à peine 7 lors de l’inventaire de janvier.

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a donc récemment dévoilé des « mesures exceptionnelles pour mettre à l’abri les caribous » de Val-d’Or. Celles-ci comprennent la « mise en enclos temporaire » des derniers cervidés, afin de les protéger des prédateurs.

Le ministre responsable du MFFP, Pierre Dufour, a du même coup annoncé « la poursuite du processus de la méta-étude faite en collaboration avec un consortium de scientifiques universitaires, qui sera livrée en mars 2021 ». Cette « méta-étude » doit conduire au « dépôt de la stratégie », mais aucune date n’a encore été précisée.

Deux études

Cette annonce du gouvernement Legault survient alors que le MFFP a déjà en main deux analyses scientifiques de la situation du caribou de Val-d’Or, dont une qui précise les « scénarios » qui permettraient de sauver la harde de l’extinction.

L’« Étude de faisabilité du rétablissement du caribou de Val-d’Or », obtenue en vertu de la loi sur l’accès à l’information, datée de janvier 2017 et à laquelle 25 experts du MFFP ont collaboré, détaille ainsi la marche à suivre pour maximiser les chances de ramener la harde à un minimum de 50 bêtes, soit le seuil « pour qu’une population soit à moins haut risque d’extinction ».

Concrètement, les experts insistent sur la nécessité de restaurer considérablement l’habitat des animaux en reboisant des chemins forestiers et en doublant la superficie de territoire où les coupes forestières sont interdites (qui passerait de 1000 km2 à 2000 km2). Il faudrait aussi limiter les coupes industrielles en périphérie de cette zone de stricte protection.

À terme, avec ces mesures qui permettraient de réduire la « perturbation » de l’habitat, « les chances de persistance du caribou sont de 60 % à 90 % ».

Par ailleurs, afin de regarnir la harde, les experts du MFFP soulignent la nécessité de construire une clôture pour protéger les caribous de leurs prédateurs. Il faudrait ensuite capturer des caribous d’une autre population située dans la région, puis les conduire au Zoo sauvage de Saint-Félicien afin de les faire reproduire en captivité, avant de réintroduire les faons dans l’habitat. Selon le document de 2017 du MFFP, le zoo deviendrait ainsi « une pouponnière à caribou ».

La direction de l’établissement était même prête à « partager les frais associés à ce projet » et les enclos étaient déjà construits.

Ce « scénario » optimal entraînerait des « coûts estimés » à environ 14 millions de dollars, selon l’étude gouvernementale, en incluant les « impacts supplémentaires sur la possibilité forestière ».

Disparition

En avril 2017, le gouvernement libéral avait pour sa part annoncé un simple projet de délocalisation des caribous de Val-d’Or au Zoo de Saint-Félicien, mais sans prévoir de programme de rétablissement, comme le suggéraient ses propres experts. Le projet a finalement été abandonné et les libéraux ont annoncé en mars 2018 que les caribous étaient condamnés à disparaître.

Après l’arrivée au pouvoir du gouvernement Legault, le ministre Pierre Dufour a demandé, et obtenu, un nouveau « projet » de sauvetage des caribous de Val-d’Or, explique le président d’Action boréale, Henri Jacob. Ce plan propose lui aussi de combiner une restauration de l’habitat à un programme de réintroduction d’animaux dans cette harde isolée.

« Le plan a été produit à la demande du ministre Pierre Dufour. Mais depuis, il n’a jamais donné de suite à ce plan », déplore M. Jacob. Or, le temps presse, insiste-t-il. « Il est impossible que les animaux survivent, à moins qu’on mette en place un plan de réintroduction. On ne sait même pas s’il reste un mâle. »

Selon lui, la mise en enclos annoncée récemment relève de « l’improvisation », notamment parce qu’il serait impossible de nourrir les caribous.

Pour le biologiste Pier-Olivier Boudreault, de la Société pour la nature et les parcs, le gouvernement Legault se contente de « tergiverser », en attendant la disparition des caribous de la harde. « Le gouvernement commande une étude qu’il a déjà et qui identifiait clairement les scénarios pour la sauvegarde des caribous. Soit il admet sa mauvaise gestion, laisse les caribous mourir en paix et évite que ça se reproduise ailleurs, soit il met tous les efforts immédiatement pour rétablir la population. »

Pourquoi poursuivre une « méta-étude », alors que le MFFP a déjà en main deux analyses scientifiques qui précisent les scénarios à envisager pour éviter l’extinction de ces cervidés ?

« Le ministre souhaite que les intervenants locaux soient mis à contribution dans les solutions qui seront retenues. C’est pourquoi il est prévu que nous en discutions avec les principaux partenaires du ministère dans le dossier, soit les communautés algonquines (principalement le Conseil de la nation Anishnabe de Lac-Simon) et les membres du Groupe opérationnel régional. Des propositions sont attendues dans les prochains mois », répond le ministère, par courriel.

Le « Groupe opérationnel régional » de la région de Val-d’Or compte sept membres, selon les informations fournies par le MFFP, dont la forestière EACOM, la minière Agnico-Eagle et l’Association de l’exploration minière du Québec.

L’exemple de Charlevoix

La réintroduction de caribous forestiers au Québec a déjà été un succès dans le secteur des Grands-Jardins, dans Charlevoix. Les cervidés, qui avaient complètement disparu en 1920, y ont été réintroduits au début des années 1970.

« Il y a eu des mises en enclos, puis des libérations. La population s’est bien adaptée et a atteint un pic d’environ 125 caribous dans les années 1990. Mais à cause de l’augmentation des perturbations sur le territoire en raison de la foresterie et d’autres activités humaines, la population est dans l’état critique qu’on connaît maintenant », explique le biologiste Pier-Olivier Boudreault.

On ne compterait pas plus de 25 caribous aujourd’hui.

Le ministre Pierre Dufour a d’ailleurs reconnu que la situation est « catastrophique ». Il a annoncé un abattage de loups dans la région, mais pour le moment, il n’est pas question de limiter les coupes forestières industrielles ou les activités humaines qui perturbent l’habitat.