Source: Morgan Lowrie, La Presse Canadienne
Publié le 13 novembre 2021
La décision du gouvernement du Québec de clôturer un autre troupeau de caribous menacé et de tuer tous les loups qui s’y approchent inquiète les environnementalistes, qui estiment que la province retarde encore une fois un plan promis de longue date visant au rétablissement de l’espèce.
Après avoir installé une clôture autour de l’habitat des sept animaux restants d’un troupeau de Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, le gouvernement affirme que des troupeaux des régions de Charlevoix et de Gaspé seront les prochains à vivre derrière des enclos.
Le ministère de la Faune a confirmé que la construction est en cours pour clôturer l’ensemble du troupeau de Charlevoix, au nord de Québec, dont la taille est estimée à moins de 20 bêtes. À Gaspé, l’ensemble du troupeau ne sera pas dans un enclos, mais les femelles gestantes seront capturées et transportées dans des aires clôturées où elles mettront bas et élèveront leurs petits pendant quelques mois avant d’être relâchées à l’automne.
Le gouvernement a également embauché un groupe de piégeage, la Fédération des trappeurs gestionnaires du Québec, pour «intensifier» un programme de piégeage et d’abattage des loups et autres prédateurs qui menacent le caribou.
Dans un courriel, le gouvernement du Québec a affirmé que ces mesures sont considérées comme temporaires, ajoutant qu’elles offrent les meilleures chances de s’assurer que les animaux ne meurent pas à court terme.
«L’enclos aide à protéger les caribous de la prédation et de la mortalité, et ils ont accès à une quantité abondante de nourriture et d’eau de qualité, le tout sous la supervision de vétérinaires», a déclaré la porte-parole Mila Roy. D’autres mesures pour protéger le caribou, dont la préservation de son habitat et le démantèlement des routes forestières, sont déjà en cours, a-t-elle ajouté.
Martin-Hugues St-Laurent, un biologiste de l’Université du Québec à Rimouski, estime cependant que d’enfermer des animaux et de tuer des prédateurs équivaut à un hôpital qui envoie un patient aux soins intensifs dans une ultime tentative pour le sauver.
Bien que de telles mesures soient parfois appropriées, il a expliqué qu’elles ne signifient pas grand-chose sans des gestes forts pour protéger les habitats des animaux.
«Mettre les (animaux) dans des enclos pour les protéger des prédateurs sans protéger l’habitat est voué à l’échec, a-t-il tranché en entrevue. Cela donne l’impression que nous faisons quelque chose, mais nous ne faisons rien d’efficace.»
M. St-Laurent a déclaré que l’interférence humaine est la raison pour laquelle il y a trop de prédateurs.
Il a mentionné que le caribou dépendait des forêts anciennes et épaisses pour se protéger des prédateurs et fournir du lichen pour se nourrir. Au fil du temps, l’industrie forestière a enlevé une grande partie de la vieille forêt et l’a remplacée par des arbres plus jeunes. Les routes d’exploitation forestière et de chasse offrent aux loups des chemins pratiques pour accéder à leurs proies, a noté M. St-Laurent.
Le président du groupe écologiste Action boréale a dit croire que Québec n’a pas l’intention de prendre des mesures significatives pour protéger le caribou, soulignant que le gouvernement n’avait pas déposé son plan d’action promis de longue date pour le rétablissement de l’espèce.
Au lieu de cela, le gouvernement a annoncé la semaine dernière qu’il formait une «commission indépendante» qui tiendra des consultations avec les intervenants et les citoyens des régions où se trouvent les caribous. Le gouvernement a déclaré que le rapport de la commission serait publié en 2022 et que le plan d’action entrerait en vigueur en 2023, après les prochaines élections provinciales. Le gouvernement a également annoncé que près de 155 000 hectares seront à l’abri de l’exploitation forestière jusqu’en 2028.
La commission sera dirigée par Nancy Gélinas — une experte en économie forestière — mais ne comprend aucun expert du caribou.
Le Centre québécois du droit de l’environnement s’est dit, dans une déclaration, «très préoccupé» par ce retard, qu’il a qualifié de «totalement injustifié» compte tenu de l’urgence de la situation. Le groupe a déclaré qu’il envisageait toutes les options pour protéger le caribou et n’exclut pas une action en justice pour pousser le gouvernement fédéral à intervenir.
M. Jacob a déclaré qu’il croit qu’en repoussant son plan d’action, le gouvernement espère «gagner du temps» jusqu’à ce que les plus petits troupeaux meurent naturellement. Il a affirmé que les tentatives du gouvernement en matière de conservation, notamment la fermeture de quelque 160 kilomètres des milliers de kilomètres de chemins forestiers du Québec, sont loin d’être suffisantes.
«Le gouvernement du Québec cherche, à mon avis, la réponse qu’il veut, c’est-à-dire qu’il est trop tard pour le caribou», a-t-il résumé lors d’une récente entrevue.
Tant messieurs Jacob que St-Laurent estiment qu’il ne faut pas davantage de temps pour trouver comment sauver le caribou, qu’ils décrivent comme l’une des espèces les plus étudiées au Canada. Ils ont déclaré que les experts conviennent que ce qui est nécessaire, c’est la fermeture immédiate des routes d’exploitation forestière et la conservation et le rétablissement des forêts critiques où vivent les animaux. M. Jacob a affirmé que l’ajout de bêtes à certains des plus petits troupeaux, tels que les populations de Val-d’Or et de Charlevoix, pourrait leur donner une meilleure chance de survivre.
Le gouvernement du Québec, quant à lui, insiste sur son engagement à sauver le caribou, et il a soutenu que sa commission est le bon véhicule pour créer un «plan consensuel et pragmatique» pour la survie de l’espèce.
M. St-Laurent a déclaré que la lutte pour sauver le caribou est de portée nationale, ajoutant que les gouvernements à travers le Canada se sont retrouvés «pris au piège» entre sauver le caribou et réaliser des gains économiques à court terme grâce à des industries telles que la foresterie.
M. Jacob a résumé l’idée plus succinctement: «Quand les deux s’affrontent, le caribou et la foresterie, c’est toujours l’animal sauvage qui disparaît.»