Source : Pierre Chapdelaine de Montvalon, Radio-Canada
Publié le 9 janvier 2024
Les pratiques forestières dans la forêt boréale québécoise et ontarienne ne sont pas durables, selon une nouvelle étude publiée par l’éditeur MDPI.
Des chercheurs de l’Australie et du Centre d’étude de la forêt, affilié à l’Université du Québec à Montréal, se sont penchés sur le rajeunissement de la forêt boréale depuis 1976 au Québec et en Ontario, un phénomène causé par l’aménagement forestier.
L’étude examine les impacts cumulatifs de l’exploitation forestière sur les forêts anciennes en termes de superficie, de distribution et de configuration des parcelles pour les zones sous aménagement forestier en Ontario et au Québec.
Les auteurs soutiennent que la forêt boréale, y compris en Gaspésie, est maintenant constituée en majorité d’arbres de moins de 50 ans, ce qui a des répercussions négatives sur la biodiversité et la résilience de la forêt face aux perturbations, telles que les feux de forêt.
En cyan, les forêts âgées de plus de 100 ans. En orange, les forêts qui ont été coupées depuis 1976. Photo: Centre d’Étude de la Forêt.
La forêt âgée a diminué en superficie et elle est très fragmentée
, résume un des auteurs de l’étude, Pierre Drapeau, professeur au département de sciences biologiques à l’UQAM et chercheur en écologie forestière.
Des changements dans l’aménagement de la forêt boréale sont nécessaires pour qu’elle soit écologiquement durable pour les populations de caribou, conclut l’étude.
Des inquiétudes sur l’application de la loi
La communauté scientifique s’inquiète de la façon dont la stratégie d’aménagement durable des forêts a été menée depuis quelques années, selon Pierre Drapeau
Pour lui, l’application de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier est déficiente, tant sur le plan des pratiques forestières que de la conservation de la forêt.
On doit constater, 10 ans après cette loi, que les propositions de coupes partielles, de coupes de sélection de tiges n’ont pas nécessairement été celles qui ont été retenues par le législateur
, explique-t-il. Donc on se retrouve avec une proportion élevée de forêts qui ont été et qui sont aménagées avec des coupes totales.
Pierre Drapeau pointe notamment l’usage de coupes totales, comme les coupes avec protection de régénération et des sols (CPRS).
La coupe avec protection de la régénération et des sols (CPRS) est une coupe de tous les arbres adultes d’une forêt, selon des techniques qui permettent de protéger à la fois les jeunes arbres déjà installés en sous-bois et le sol forestier (Source MRNF).
On protège les petits arbres, on protège les sols, mais on transforme complètement la forêt en la ramenant à ses premiers stades de développement
, explique-t-il.
Une conservation plus intégrale des forêts anciennes est nécessaire, c’est le message qu’il envoie à la ministre des Ressources et des Forêts, à quelques semaines du lancement des consultations dans le cadre de sa Table de réflexion sur l’avenir de la forêt.
On n’a pas tellement le choix si on veut rétablir une certaine proportion du territoire qui va être plus résiliente face aux incendies forestiers actuels
, rappelle-t-il, en précisant que les feux de forêt ont été particulièrement dommageables pour les jeunes forêts.
C’est pas juste une question de protection de la diversité biologique, mais aussi une question de protection de l’avenir commercial de ces forêts
, ajoute l’écologue.
Pierre Drapeau propose donc de diversifier le type de coupes, notamment avec l’usage de coupes partielles lorsque possible, afin de freiner le rajeunissement de la forêt boréale et ses conséquences néfastes.
Presque toutes les hardes de caribou à risque d’extinction
Selon le scientifique, il ne faut pas s’étonner que des espèces menacées comme le caribou ainsi que le contingent important des espèces associées aux vieux arbres et au bois mort qui sont abondants dans les forêts âgées soient en déclin.
Le document original a été modifié afin de préciser plus exactement l’importance des forêts âgées pour certaines espèces qui en dépendent.
L’étude conclut que presque l’entièreté des hardes de caribou de l’Ontario et du Québec [19 sur 21] sont à haut risque de déclin en raison de la perturbation de leur habitat.
En Gaspésie, la perturbation de l’habitat du caribou, dont il ne reste qu’une trentaine d’individus, est estimée à environ 87 % par les auteurs de l’étude.
Or, d’après un rapport d’Environnement Canada daté de 2011, dépasser le seuil de 35 % de perturbation augmente le risque de déclin de l’espèce.
C’est quelque chose qu’on sait tous déjà, il n’y a rien de nouveau sous le soleil
, constate le scientifique.
Le professeur se veut quand même optimiste. Il est toujours possible, selon lui, de renverser la vapeur. La recette pour le faire est d’ailleurs connue, rappelle-t-il. Il faut restaurer les écosystèmes, conserver des territoires.
Par exemple, la création de nouvelles aires protégées dans l’aire de répartition du caribou est demandée par la communauté scientifique.
La science est là, elle a des connaissances, elle propose des solutions.
Le dévoilement par Québec de la stratégie de protection du caribou est toujours attendu, après avoir été repoussé pour une énième fois à la suite des feux de forêt qui ont dévasté le Québec au printemps et à l’été 2023.