Source: Guillaume Roy, Le Quotidien
Publié le 16 novembre 2021
En entrevue après l’annonce de la commission indépendante, le 5 novembre dernier, Pierre Dufour a par ailleurs souligné que ces forêts représentent trois fois la superficie de l’île de Montréal. Il n’a toutefois pas spécifié que les forêts paludifiées, qui ont reçu une protection administrative, sont très peu productives et isolées, si bien qu’elles ont très peu d’intérêt pour l’industrie forestière. Dans son communiqué de presse, le MFFP a décrit ces forêts paludifiées comme étant dans un «processus qui consiste en une accumulation progressive de matières organiques causée par l’absence prolongée de graves perturbations sur un sol peu perméable, dans un paysage dominé par une topographie plane».
Dans des termes plus clairs, les forêts sont en train de se transformer en tourbières, explique Line Rochefort, professeure à l’Université Laval et membre du Groupe de recherche en écologie des tourbières. «La paludification est le plus grand phénomène de formation des tourbières au Canada», dit-elle, en précisant que cette transformation se fait sur une période de 100 à 300 ans. Dans ces forêts, la mousse de sphaigne s’accumule, ce qui fait mourir les arbres.
«Les pertes de productivité ligneuse sont particulièrement importantes au début de la succession forestière. La productivité ligneuse de pessières noires peut diminuer de 50 à 80 % sur plusieurs centaines d’années», peut-on lire dans le Manuel de détermination des possibilités forestières 2013-2018, produit par le Bureau du forestier en chef.
Une fiche technique, PALUDIFICATION des sites forestiers sur les basses terres de la Baie-James, produite par les chercheurs Pierre Bernier et David Paré, du Service canadien des Forêts, ainsi que Martin Simard et Yves Bergeron, de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, souligne également que les coupes totales et les coupes partielles accélèrent le processus de paludification.
Louis Bélanger, ingénieur forestier et responsable des dossiers forêts chez Nature Québec, salue la protection de ces forêts, tout en émettant des doutes sur l’impact pour la protection du caribou, notamment parce que les zones protégées sont toutes situées en Abitibi-Témiscamingue. «Ce sont des forêts peu productives à la limite de la forêt commerciale», dit-il, en ajoutant que ces forêts sont évitées par l’industrie. De plus, aucune étude n’a été présentée pour démontrer que ces secteurs sont en effet des habitats essentiels au caribou forestier.
Étant donné la faible productivité et les coûts élevés de remise en production, le MFFP songe depuis plusieurs années à retirer ces superficies de la possibilité forestière.
Selon Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs – Québec, l’annonce de la protection administrative semble être davantage une stratégie de communication qu’une réelle volonté de protection, car les superficies sont trop petites pour aider l’espèce et elles sont toutes dans la même région.
Une bonne nouvelle pour le carbone
Au-delà des considérations pour le caribou forestier, Lyne Rochefort estime que la protection administrative de ces forêts en cours de paludification est une bonne chose pour le climat, car les tourbières captent beaucoup plus de carbone que les forêts.
Une étude a notamment démontré que les arbres dans les tourbières forestières captent entre 2,8 – 5,7 kg de carbone par mètre carré, alors que les horizons organiques (la mousse de sphaigne notamment) peuvent capter entre 22 et 66 kg de carbone par mètres carrés.
«C’est super de bien protéger ces écosystèmes», dit-elle en ajoutant qu’ils devraient aussi être protégés contre l’exploitation minière.
UNE COMMISSION INDÉPENDANTE SUR LE CARIBOU SANS EXPERT FAUNIQUE
Des groupes environnementalistes et des chercheurs remettent en question la décision de Québec de mettre sur pied une commission indépendante sur le caribou forestier, sans expert faunique.
Tout en reconnaissant l’expertise de Nancy Gélinas, la doyenne de la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, en économie forestière, Martin-Hugues St-Laurent, professeur et biologiste spécialiste du caribou à l’Université du Québec à Rimouski, se demande comment elle pourra bien piloter une commission indépendante sur le caribou forestier, sans expert faunique qui y siège. «Ça sera une commission indépendante essentiellement pilotée par des gens qui n’ont aucune connaissance sur le caribou forestier», dit-il, en ajoutant que les deux anciens sous-ministres qui assistent Nancy Gélinas n’ont pas d’expertise en la matière. «Il aurait fallu avoir un contrepoids faunique», estime le chercheur.
D’une part, Nancy Gélinas souligne qu’elle n’était pas responsable de la composition de la composition de la commission, qui a été mise en place par le gouvernement. «Nous aurons toute la latitude nécessaire pour interpeller les experts fauniques», a renchéri la présidente de la commission.
En ce qui a trait à l’analyse de seulement deux solutions présentées par le gouvernement, Nancy Gélinas estime qu’il sera possible de trouver une position mitoyenne au besoin. «C’est bon d’avoir deux scénarios extrêmes pour trouver le meilleur équilibre entre les deux», dit-elle.
Selon Martin-Hugues St-Laurent, les deux scénarios sont présentés en termes d’emplois et de mètres cubes de bois, et il ne voit pas un scénario qui permet de bien protéger le caribou.
Gagner du temps
«C’est une autre distraction qui n’aidera pas à la protection du caribou, remarque pour sa part Alain Branchaud, de la SNAP-Québec. La commission servira seulement à consulter des gens qui ont déjà été consultés, alors que la science nous dit déjà les mesures que l’on doit prendre pour protéger le caribou ».
Avec cette décision, Québec retarde la mise en place de mesures de protection du caribou, et la SNAP-Québec envisage de lancer des recours judiciaires, au cours des prochaines semaines, pour protéger les habitats essentiels du cervidé le plus rapidement possible.
Selon Louis Bélanger, de Nature Québec, l’idée de tenir une commission indépendante aurait été une bonne idée il y a trois ans. «Avec cette commission, le gouvernement n’aura pas l’odieux d’implanter des mesures de protection du caribou avant les élections», déplore-t-il, soulignant que la petite politique a pris le dessus sur la bonne gouvernance.