Source: David Rémillard, Radio-Canada

Publié le: 6 février 2023

Photo: Marie-Josée Béliveau

La « quasi-totalité » de l’habitat essentiel du caribou forestier sur le territoire du Québec « n’est pas protégé efficacement », tranche le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault. Ce dernier recommandera donc au conseil des ministres du gouvernement de Justin Trudeau d’intervenir.

M. Guilbeault laissait planer depuis l’an dernier la possibilité d’une intervention d’Ottawa au Québec s’il n’était pas convaincu que les mesures de protection de l’habitat du caribou forestier étaient suffisantes pour assurer la survie de l’espèce.

Après des consultations auprès des Premières Nations et après avoir demandé des données au gouvernement de François Legault, le ministre Guilbeault est d’avis que le maintien des hardes québécoises est improbable dans les conditions actuelles.

Ce constat, fruit d’une analyse de plusieurs mois menée par Environnement et Changement climatique Canada, force le ministre à agir.

Je suis tenu de recommander au gouverneur en conseil la prise d’un décret de protection pour les parties non protégées de l’habitat essentiel du caribou boréal, écrit-il dans une lettre remise vendredi dernier aux Premières Nations, dont Radio-Canada a obtenu copie. Une version similaire a aussi été acheminée au ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette.

Le caribou forestier étant protégé par la Loi sur les espèces en péril au Canada, Steven Guilbeault est en effet obligé d’enclencher les mécanismes requis par la législation.

L’an dernier, on évaluait la superficie potentielle d’une intervention d’Ottawa à 35 000 kilomètres carrés dans l’habitat essentiel du caribou forestier au Québec. Le décret envisagé par le fédéral pourrait durer jusqu’à cinq ans. Il priverait l’industrie forestière de certains territoires de coupe. Des indemnisations pourraient être versées pour dédommager les communautés visées.

L’intervention ne viserait, pour l’instant, que les caribous forestiers au nord du fleuve Saint-Laurent. La population isolée de caribous montagnards de la Gaspésie, un écotype distinct, n’est cependant pas abandonnée, dit-on au cabinet de M. Guilbeault. En voie d’extinction, cette population d’une trentaine de caribous pourrait faire l’objet d’autres mécanismes imbriqués dans la loi fédérale.

Dur à suivre, réplique Québec

Québec n’a pas particulièrement apprécié la missive de Steven Guilbeault. Son homologue provincial, Benoit Charette, avait l’impression que l’entente conclue en août dernier avec Ottawa lui permettrait d’éviter l’intervention du fédéral.

L’approche du gouvernement fédéral dans ce dossier est dure à suivre. Nous nous sommes pourtant entendus l’été dernier quant aux gestes à poser et Steven Guilbault sait très bien que nous avons l ’intention d’arriver à une stratégie d’ici l’été, a réagi le cabinet de M. Charette par écrit.

Dans l’entente, M. Charette s’engageait à prendre des mesures supplémentaires et à adopter une stratégie de protection d’ici juin 2023. Québec visait notamment à maintenir un taux de perturbation de l’habitat essentiel à un maximum de 35 %. Pour cela, on doit consulter les régions impliquées, y compris les communautés autochtones, affirme le ministre.

Comme le premier ministre François Legault l’an dernier, Benoit Charette martèle dans sa missive que le caribou relève du Québec et s’oppose à toute intervention du fédéral sur son territoire. Nous n’avons pas changé de position : la protection et le rétablissement du caribou forestier et montagnard, c’est une compétence et une responsabilité du gouvernement du Québec, insiste-t-il.

Il réitère néanmoins son engagement à travailler en collaboration avec le fédéral. On ne peut toutefois pas faire abstraction de l’importance de la foresterie dans les régions, d’où la nécessité de bien faire les choses avec les parties prenantes.

Steven Guilbeault, dans sa lettre au Québec, s’engage d’ailleurs à maintenir ces négociations malgré sa prise de position. Mon avis n’affecte en rien les échanges qui ont cours présentement en vue d’arriver à une solution durable pour le caribou, précise-t-il.

Difficile de reculer

Selon Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec, le gouvernement fédéral fait un pas de plus vers une intervention au Québec. La prise de position du ministre vient selon lui confirmer ce que les biologistes déplorent depuis des années.

On est vraiment à un point tournant dans l’histoire de la protection du caribou dans la forêt boréale. Après cette étape-là qui est maintenant franchie, ça va être difficile de reculer, réagit celui qui militait depuis l’an dernier pour une intervention par décret de protection de l’habitat essentiel.

M. Branchaud est d’avis que le Québec peut encore éviter cette intervention en négociant avec le fédéral. Il rappelle que Québec s’est engagé à présenter sa stratégie de protection de l’habitat du caribou forestier et montagnard en juin 2023, justement à la suite des pressions du cabinet de M. Guilbeault. On est mieux de faire ça ensemble qu’en confrontation, dit-il aujourd’hui.

Outre les groupes environnementaux, les Premières Nations ont aussi fait de nombreuses pressions réclamant des actions, autant par le fédéral que le provincial.

Prévu par la loi

La Loi sur les espèces en péril au Canada prévoit une collaboration entre le gouvernement fédéral et les provinces. Dans le cas du caribou forestier, un mammifère terrestre, il revient aux provinces et territoires de prendre les mesures qui s’imposent pour protéger l’habitat.

Mais la loi fédérale prévoit une complémentarité.

Si Ottawa juge le travail des provinces inefficace, le texte dicte des mécanismes visant à combler les lacunes. C’est ainsi que M. Guilbeault, par obligation incombant au titulaire d’Environnement Canada, a pris contact l’an dernier avec l’ex-ministre québécois Pierre Dufour.

Franchissant les étapes une à une, le ministre est désormais fin prêt à formuler sa recommandation au conseil des ministres. Si cette recommandation de Steven Guilbeault est avalisée au gouvernement Trudeau, l’écriture d’un décret de protection de l’habitat essentiel sera alors enclenchée.

Il s’agirait d’un premier recours au décret de protection de l’habitat essentiel prévu par la loi. Celui-ci permet une prise de contrôle du fédéral sur le territoire à protéger pour une durée allant jusqu’à cinq ans.

Le décret de protection de l’habitat essentiel est à ne pas confondre avec le décret d’urgence, déjà utilisé pour protéger la rainette faux-grillon.

Le Québec abrite 13 hardes de caribous forestiers, dont la population totale est en déclin. Il resterait aussi peu que 5252 individus sur le territoire actuellement. Les causes du déclin sont principalement liées à la perturbation de son habitat, en particulier par l’industrie forestière.