Après des décennies de lente disparition du caribou, Québec lance encore des consultations plutôt que de trancher sur son avenir, dénoncent spécialistes et militants, qui redoutent la disparition de trois troupeaux.
Publié le 4 décembre 2021
Source: Marie-Christine Noël, Journal de Montréal
«Le caribou forestier, c’est le canari dans la mine. S’il a des problèmes à supporter les coupes forestières qu’on fait dans la forêt boréale, c’est peut-être que bien d’autres espèces aussi sont en voie de disparition ou ont disparu», s’inquiète Serge Couturier, biologiste qui a été pendant 27 ans à l’emploi du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP).
Notre Bureau d’enquête a obtenu des images exclusives des derniers caribous de la harde de Val-d’Or, que le MFFP a mis en enclos en mars 2020 pour les protéger.
Les sept caribous sont nourris dans des mangeoires et vivent sur un territoire encerclé d’immenses clôtures (voir plus bas). Ces survivants dans leur enclos sont devenus le triste emblème de la perte de notre biodiversité, détruite petit à petit par l’industrie forestière, notamment.
Qu’on en soit réduit à enfermer ces bêtes sauvages parce qu’on n’a pas su les protéger avant désole des scientifiques et des militants. D’autant plus que les caribous de Charlevoix et de la Gaspésie devraient eux aussi se retrouver en captivité sous peu.
Pour M. Couturier, ces trois hardes isolées des autres caribous du Québec sont «en grand danger de disparition imminente».
«Dans le passé, nous avons rencontré le ministre des Forêts pour lui dire d’agir rapidement à Val-d’Or, car on dénombrait à l’époque 20 caribous, explique M. Couturier. Mais ils n’ont rien fait et il n’en reste que sept. Il y a de fortes chances qu’ils soient tellement dans un mauvais état et vieillissants qu’ils n’arrivent même plus à se reproduire.»
Leur déclin est surtout causé par la perte de leur habitat due à l’industrie forestière (coupes, chemins développés), mais aussi par l’activité humaine, la présence en hausse des prédateurs, dont les ours et les loups, et les changements climatiques.
Les chercheurs ont signalé le déclin des caribous de Charlevoix en 2020, soulignant «une diminution de plus de 50%» entre 2017 et 2019. La harde compte désormais entre 19 et 23 bêtes.
Toujours pas de plan déposé
Malgré tout, le nouveau plan ou la stratégie tant attendue permettant de freiner la disparition de la bête n’a toujours pas été déposé par le ministère.
Québec a plutôt confié, cet automne, un mandat de consultations régionales à une commission indépendante ne comptant aucun expert du caribou.
Les délais qui s’étirent avant de mettre en place des mesures concertées sont dénoncés par les experts et les militants interrogés. Ceux-ci espèrent que Québec imposera un meilleur équilibre entre les coupes et la préservation de la biodiversité.
Sans quoi, «un jour, le seul caribou qui restera au Québec, ce sera sur notre 25 cents», s’alarme M. Couturier.
«Le caribou forestier est dans un état précaire, sa situation empire et les autorités gouvernementales déplacent à plus tard les décisions pas toujours faciles à prendre, mais dans lesquelles il s’est engagé», regrette Louis Bélanger, ingénieur forestier et coresponsable de la commission Forêt de Nature Québec. Si vous cherchez un bracelet. Il y a quelque chose pour chaque look, du près du corps au structuré, des poignets aux chaînes et poignets.
Le ministre des Forêts, Pierre Dufour, assure que Québec prévoit livrer une stratégie en 2023 pour la sauvegarde du caribou et son habitat, mais que d’ici là, des consultations sont nécessaires.
«On veut avoir le portrait indépendant économiquement, avec les impacts sur la capacité forestière et sans les impacts sur la capacité forestière. C’est pour ça qu’on fait une commission, dit-il. On veut aussi vérifier [l’impact des] changements climatiques.»
Pour l’instant, Québec semble privilégier l’enclos, plutôt que tout autre moyen de protection. Ceux-ci devaient être temporaires, mais ils semblent devenir une solution permanente.
Création de mouroirs?
«Est-ce qu’il y a un plan de réintroduction de ces animaux-là en nature? Actuellement, il n’y a rien. Est-ce qu’on est en train de créer des mouroirs à caribous, un endroit où on va parquer les caribous en attendant qu’ils meurent?», s’interroge M. Couturier.
C’est que l’enclos n’est pas une mauvaise piste à explorer en soi, selon les experts. Tant qu’il est provisoire, le temps de rebâtir la population de caribous pour ensuite la relâcher. Mais M. Couturier et d’autres experts doutent que les caribous de Val-d’Or soient capables de se reproduire suffisamment dans les enclos pour permettre de rebâtir la population.
Dans un courriel, le MFFP confirme que «la totalité des caribous de Charlevoix sera placée dans un enclos» en 2022.
«Quant à la harde d’une quarantaine de caribous dénombrés en 2019 en Gaspésie, les femelles gestantes seront capturées dans leur milieu naturel et transportées dans les enclos pour la mise bas et les premiers mois de vie des faons. Elles retourneront ensuite en milieu naturel pour la période de reproduction», écrit le MFFP, notant qu’il est possible que les caribous soient en captivité plus longtemps.
Québec a enfermé les derniers caribous de la harde de Val-d’Or
Des images exclusives permettent de prendre la mesure de la lente disparition des caribous forestiers
Ceux qu’on croit être les derniers caribous forestiers de la harde de Val-d’Or vivent maintenant dans un enclos de 14 hectares. Ils se nourrissent de moulée dans des mangeoires mises à leur disposition.
Le Bureau d’enquête a mis la main sur de rares images de caribous. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) les a mis en enclos en mars 2020 pour tenter de les préserver. Les caribous de Charlevoix et de la Gaspésie devraient connaître le même sort dans les prochains mois.
Ces images prises du haut des airs, captées en 2020, sont présentées dans le documentaire Défendre nos forêts, disponible sur la plateforme Vrai.
LES SUBDIVISIONS
L’enclos est constitué de deux sous-enclos principaux. Au besoin, deux sous-enclos secondaires sont conçus pour isoler des caribous. Des espaces sont également prévus pour permettre la contention des caribous et donner des soins vétérinaires.
Les clôtures sont construites en métal, avec des poteaux et des treillis de type gibier. Une membrane géotextile fait le tour des clôtures afin d’empêcher les caribous de voir à l’extérieur, limitant ainsi leur acclimatation avec l’humain. La clôture est électrifiée de l’extérieur pour éloigner les prédateurs.
À l’intérieur des enclos, il y a majoritairement des épinettes. On retrouve aussi quelques feuillus et d’autres essences de conifères. Ces arbres se trouvent habituellement dans l’environnement du caribou.
L’enclos a servi en 2014 et en 2015 pour abriter des femelles gestantes. Une rénovation a été faite dans le but d’accueillir la harde en 2020.
Comment ont été capturés les caribous? Les bêtes ont été retrouvées en hélicoptère et attrapées avec des lance-filet, puis elles ont été transportées par ce même appareil.
Seuls les surveillants et les biologistes du MFFP peuvent s’approcher de l’enclos.
«Le ministère souhaite préserver un environnement paisible pour les caribous et éviter leur imprégnation. Multiplier les visiteurs dans leur environnement générerait une forme d’apprivoisement, ce qui est contre-indiqué», indique le MFFP.
DEUX AUTRES ENDROITS CLÔTURÉS PRÉVUS
L’enclos en Gaspésie
Automne 2021: Des équipes s’affairent au déboisement et à la construction des clôtures ainsi que des chemins d’accès vers les enclos.
Fin de l’hiver 2022: Il est prévu de capturer les femelles gestantes dans leur milieu naturel.
Dimension: Environ 15 hectares.
L’enclos à Charlevoix
15 décembre 2021: Fin prévue des travaux de construction de l’enclos.
Hiver 2022: La totalité des caribous de la harde de Charlevoix seront placés dans un enclos de protection.
Dimension: Environ 20 hectares.
TOUR D’OBSERVATION
Un gardien assure un minimum de 4 h de surveillance par jour, selon le ministère. Posté en haut d’une tour d’observation qui lui permet de voir par-dessus la clôture, il fait le décompte des caribous présents et vérifie qu’ils se portent bien.
Le surveillant est aussi responsable de nourrir les caribous dans l’enclos. La quiétude autour du lieu est importante. On tente de déranger le moins possible le nouveau-né à la santé fragile. Lors de la visite de notre Bureau d’enquête, l’équipe s’est assurée de limiter le bruit et les déplacements autour.
Autres soins
Un technicien de la faune et une biologiste effectuent entre une et deux visites par semaine. Un vétérinaire se rend aussi régulièrement sur le site.
MANGEOIRES
Les caribous ont accès à de la nourriture et à de l’eau en quantité, dont du lichen, du foin et de la moulée. Il s’agit d’une moulée de style granulé spécialement conçue pour les cervidés. Cette nourriture — ou une moulée très similaire — a été utilisée pour les caribous par des zoos. Les mangeoires se trouvent tout près de la porte de l’enclos.
Un animal protégé
Le caribou forestier est protégé en tant qu’espèce menacée à l’échelle du Canada depuis mai 2003. Au Québec, c’est en 2005 qu’il a obtenu le statut d’espèce vulnérable. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a le mandat de protéger toutes les espèces fauniques menacées.