Source: Françcois Carabin, Radio-Canada

Publié le 7 août 2023


Dans un enclos de 14 hectares au sud de Val-d’Or vivent 9 caribous forestiers. Une trace infime du troupeau qui dominait autrefois les forêts de la région. Leur sort est-il déjà scellé ? Troisième texte de trois sur les caribous de Val-d’Or.

Les Anichinabés l’appellent « adik ». Les Innus, « minashkuau-atiku ». Depuis des temps immémoriaux, les Premières Nations entretiennent un lien sacré avec le caribou. Leur combat pour le sauver ne relève pas du hasard.

À Lac-Simon, ce sont les aînés qui ont sonné l’alarme les premiers, au cours des années 1980. Les membres de la communauté avaient constaté le déclin rapide de la harde de Val-d’Or et leur effacement graduel dans les forêts qui encerclent la réserve.

À ce rythme, ont dit les aînés, chasser le caribou deviendrait injustifiable, relate Adrienne Jérôme, ancienne cheffe de la communauté anichinabée. « On l’a enlevé de nos assiettes. »

Auparavant, les gens de Lac-Simon le chassaient pour sa nourriture, mais aussi pour son panache et pour sa fourrure. Il servait à fabriquer du matériel de cérémonie, des vêtements. Sa quasi-disparition a tout changé. « Quand ma grand-mère nous contait ça, elle pleurait, puis pleurait », affirme Mme Jérôme.

« Sacré »

« C’est un animal qui est symbolique, qui est sacré. […] Notre attachement à cet animal-là est très fort », résume l’actuel chef de Lac-Simon, Lucien Wabanonik. Sa disparition graduelle touche d’ailleurs « plusieurs nations, plusieurs communautés », soulève-t-il.

C’est le cas sur la péninsule gaspésienne, où les Micmacs de la communauté de Gespeg travaillent ardemment pour le maintien du cheptel d’une trentaine de bêtes qui peuplent le parc national de la Gaspésie. Même chose sur la Côte-Nord, où les populations de caribous forestiers ont décliné « sous les seuils estimés pour espérer l’autosuffisance de la population », selon le ministère de l’Environnement.

« La chasse au caribou nous permettait de survivre, de perpétuer notre mode de vie ancestral, de perpétuer nos connaissances du territoire », raconte le vice-chef de la communauté innue de Pessamit et responsable du dossier territoire et ressources, Jérôme Bacon St-Onge.

« Après l’avoir abattu — et ce n’était évidemment pas de gaieté de coeur —, nous pouvions nous nourrir, nous vêtir, construire nos raquettes avec la babiche… » ajoute-t-il.

Parce qu’il a permis aux Innus de « survivre durant des millénaires », le caribou est devenu « un emblème », indique M. Bacon St-Onge. Mais le déclin rapide de la population, notamment dans le secteur du réservoir Pipmuakan, a aussi forcé les communautés de la région à s’adapter. Là aussi, la chasse au caribou a pris fin. Avec la communauté d’Essipit, Pessamit exhorte maintenant le gouvernement du Québec à protéger plus de 2700 kilomètres carrés de territoire dans le Pipmuakan.

« Si le caribou pouvait nous parler, il nous dirait : “faites donc les efforts pour me sauver. Je l’ai fait sur des millénaires, j’ai permis de vous nourrir” », lance M. Bacon St-Onge.

Une mise en enclos dure à encaisser

À Val-d’Or, les Anichinabés de Lac-Simon ont proposé diverses solutions au gouvernement du Québec pour réintroduire le caribou dans son habitat essentiel. Pour la communauté, voir les bêtes confinées à un enclos depuis 2020 « choque ». « C’est frustrant », lance Adrienne Jérôme.

« Ce ne sont pas des bêtes de cirque », ajoute Lucien Wabanonik. « Ils doivent être libres. »

Adrienne Jérôme déplore l’« inaction » des gouvernements successifs pour voler au secours de la bête. « On dirait qu’il n’y a rien qui se passe », dit-elle.

Même chose sur la Côte-Nord, où les communautés demandent « des actions depuis des années » pour réduire la déforestation dans les habitats essentiels du caribou forestier. « Il y a tellement de chemins forestiers, on dirait des veines autour du coeur », souligne Jérôme Bacon St-Onge.

Le vice-chef de Pessamit s’impatiente. En reportant pour une énième fois sa stratégie de sauvegarde du caribou, le gouvernement a mis encore plus en péril les cheptels nord-côtiers, selon lui. « Même si le gouvernement dit nous écouter, on dirait qu’il ne nous entend pas », déplore-t-il.

Pour les jeunes, le risque est majeur, dit M. Bacon St-Onge : c’est la mémoire collective qui est en jeu. « Si le caribou disparaît aujourd’hui, c’est un peu de notre culture qui s’éteint. »