Le gouvernement Legault compte autoriser des coupes forestières dans une zone qui fait partie de l’habitat des caribous de la Gaspésie, une population portée au seuil de l’extinction en bonne partie en raison de la dégradation des forêts de la région. Ce chantier est prévu alors que le gouvernement s’apprête à lancer un programme de capture des femelles gestantes pour tenter de sauver le cheptel.
Publié le 4 mars
Source : Alexandre Shields
Selon ce que prévoit le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), un « plan d’aménagement spécial » est prévu afin de couper des arbres dans une zone atteinte par la tordeuse des bourgeons de l’épinette, située à l’ouest du parc national de la Gaspésie.
Dans une réponse écrite au Devoir, le ministère admet que « certains de ces secteurs d’intervention sont situés en partie à l’intérieur des mesures intérimaires pour le caribou montagnard de la Gaspésie ». Dans la même réponse transmise par courriel, il affirme toutefois que ces coupes « respectent les modalités prévues dans les mesures intérimaires », dont le fait de « limiter » les coupes, et donc le rajeunissement de la forêt.
Le MFFP précise aussi que les coupes prévues pour la période 2022-2023 se situent à l’extérieur de la zone considérée comme étant l’habitat essentiel tel que défini en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) du gouvernement fédéral.
Les derniers caribous de la région de Val-d’Or ont été placés en captivité en 2020. Leur habitat avait été sérieusement perturbé par l’industrie forestière.
Les coupes sont effectivement situées en dehors de cet habitat essentiel pour l’espèce, précisé pour la dernière fois en 2007. L’abattage d’arbres est cependant prévu à moins de deux kilomètres de cet habitat, dans une zone identifiée par le gouvernement du Québec comme faisant partie de « l’aire de fréquentation » du caribou. Qui plus est, il existe actuellement un processus de révision de l’habitat essentiel, en vertu de la LEP. La proposition qui est à l’étude prévoit un agrandissement de celui-ci.
Dans un avis produit dans le cadre des consultations sur le plan de coupes du MFFP, qui se terminent le 14 mars, le Conseil régional de l’environnement du Bas-Saint-Laurent (CREBSL) affirme qu’« avec les coupes prévues, le caribou de la Gaspésie perdrait encore plus de son habitat préférentiel », déjà très perturbé dans la région.
Au fil des ans, de nombreuses coupes forestières industrielles ont été réalisées tout autour du parc national de la Gaspésie. Le gouvernement Legault a également écarté en 2020 un projet d’aire protégée, dit « Vallières de Saint-Réal », qui aurait permis de protéger un territoire propice au caribou et situé au sud du parc national de la Gaspésie.
Qui plus est, les coupes nécessiteront l’ouverture de nouveaux chemins forestiers, qui faciliteront l’arrivée des prédateurs du caribou. « Dans ce contexte, il est primordial de laisser les processus écologiques suivre leur cours, les forêts en question représentant un habitat important pour le caribou et une zone intéressante d’un point de vue de la conservation », souligne le CREBSL.
Situation critique
Le CREBSL rappelle que la situation de cette population de caribous est assez critique. Les résultats des derniers inventaires réalisés par le MFFP estiment qu’elle compte seulement de 32 à 36 caribous. Dans les circonstances, ajoute-t-on, « la diminution des coupes forestières et la fermeture de chemins forestiers sont les principales solutions ».
Même son de cloche du côté de la Société pour la nature et les parcs du Québec. « Alors que le gouvernement fédéral menace d’intervenir au Québec dans le dossier des espèces en péril, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs joue avec le feu en proposant des coupes forestières qui vont accentuer la dégradation de l’habitat du caribou de la Gaspésie et compromettre davantage les chances de survie et de rétablissement de l’espèce », fait valoir son directeur de la conservation, Pier-Olivier Boudreault.
Ces nouvelles coupes surviennent alors que le gouvernement Legault prévoit cet hiver de capturer et de mettre en enclos les dernières femelles gestantes de la population. L’objectif est de protéger les faons durant leurs premiers mois de vie, pour éviter qu’ils soient tués par les prédateurs. Ceux-ci se déplacent plus aisément grâce aux chemins forestiers, ou alors fréquentent les zones où des coupes ont eu lieu.
Les cervidés seront capturés au « lance-filet à bord d’un hélicoptère », ou alors « au sol à l’aide de fusil à tranquillisant », précise le MFFP. « L’animal capturé sera rapidement immobilisé et mis sous contention physique de façon à éviter les blessures, un vétérinaire effectuera les vérifications de gestation à l’aide d’un appareil échographique portatif. »
Les enclos prévus à l’origine ne seront toutefois pas construits avant l’automne prochain, si bien que les femelles seront placées cet hiver dans un « enclos d’isolement ».
Enclos permanents
En plus des femelles caribous de la Gaspésie, le gouvernement du Québec prévoit de placer en captivité les 20 dernières bêtes de la région de Charlevoix, et ce, dès cet hiver. Leur enclos aura une superficie de 0,2 km2. Quant aux sept derniers caribous de la région de Val-d’Or, leur enclos sera agrandi, pour atteindre une superficie de 0,15 km2.
Le gouvernement ignore combien de temps les caribous pourraient être gardés en captivité. Les enclos ont été construits pour avoir « un caractère permanent », dans un contexte où la garde de ces animaux au seuil de l’extinction « pourrait durer longtemps ». Les experts du MFFP reconnaissent cependant que des animaux gardés en captivité à long terme, mais aussi les jeunes qui pourraient naître dans des enclos, risquent de perdre les réflexes naturels qui leur permettent d’éviter les prédateurs et de trouver leur nourriture.