Source: Alexandre Shields, Le Devoir

Publié le 17 novembre 2021


Disant vouloir protéger un « fondement » de leur mode de vie ancestral, des nations innues sont sur le point de recourir aux tribunaux pour forcer le gouvernement Legault à protéger le caribou forestier. De son côté, la Société pour la nature et les parcs pourrait lancer une action en justice pour forcer le fédéral à agir, devant le refus de Québec à mettre en œuvre un plan de sauvegarde de cette espèce de plus en plus menacée.

Le gouvernement Legault a décidé récemment de repousser encore une fois le dépôt d’une « stratégie » censée permettre de freiner le déclin du caribou forestier au Québec. Il a alors confié un mandat de consultations régionales à une « commission indépendante » qui ne compte aucun expert de cette espèce.

Pour le Conseil de la Première Nation des Innus Essipit et le Conseil de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, le gouvernement fait fausse route en agissant de la sorte. « Nous sommes très déçus de l’attitude du gouvernement. Cette commission est totalement inutile, parce que le Québec a déjà toutes les données et toute la science nécessaires pour prendre des mesures de protection du caribou », a résumé mardi le chef de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh, Gilbert Dominique, en entrevue au Devoir.

Selon lui, le gouvernement Legault cherche surtout « à gagner du temps en attendant les prochaines élections », prévues en 2022. « L’écoute est plus importante pour les forestières. C’est le constat qu’on fait », a-t-il laissé tomber.

Après avoir envoyé une mise en demeure, restée sans réponse, au gouvernement pour exiger « des mesures de protection immédiates » du caribou forestier et « un dialogue de nation à nation », les deux nations innues sont sur le point d’intenter une action devant les tribunaux, a précisé M. Dominique. Selon ce qu’il a fait valoir, cette démarche découle de l’absence de « consultation » de la part du gouvernement dans le dossier de la protection du caribou, une espèce qui est « au cœur de l’identité et de la culture traditionnelle innues ».

Gilbert Dominique cite en exemple la décision du gouvernement Legault de mettre de côté plusieurs projets d’aires protégées qui auraient permis d’accroître la protection des habitats propices à la survie des caribous forestiers. Parmi ceux-ci, on comptait une série de quatre projets portés notamment par les Innus et situés dans la région du réservoir Pipmuacan, au nord-est du Lac-Saint-Jean.

Demande au fédéral

La Société pour la nature et les parcs songe pour sa part très sérieusement à intenter un recours juridique pour forcer les gouvernements à protéger l’habitat du caribou, qui est surtout perturbé par l’exploitation forestière intensive dans plusieurs régions de la province.

Selon ce qu’a indiqué mardi son directeur général, Alain Branchaud, le gouvernement fédéral devrait intervenir dans le dossier, puisque le gouvernement du Québec ne protège pas adéquatement l’habitat de cette espèce, qui est protégée en vertu de la Loi sur les espèces en péril. « Devant l’inaction du gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral aurait la légitimité légale pour agir », a-t-il résumé au Devoir.

Le gouvernement du Québec a annoncé au début du mois de novembre qu’il ne présentera pas, cette année, de stratégies visant à protéger les différentes populations de caribous. Aucune date n’est désormais évoquée par le ministère des Forêts de la Faune et des Parcs (MFFP), qui mentionne simplement une « stratégie à venir ».

En lieu et place d’un plan de sauvetage de l’espèce, le ministre responsable du MFFP, Pierre Dufour, a décidé de mettre sur pied une « commission indépendante » qui devra mener des consultations publiques « dans certaines régions » où l’on trouve des caribous forestiers, soit le Saguenay–Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord, l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-du-Québec. Toutes ces régions comptent une industrie forestière. Quant aux « citoyens des autres régions », ils pourront « s’exprimer sur la question du caribou en soumettant un mémoire ».

Déclin de l’espèce

Pendant ce temps, les plus récents inventaires réalisés par les experts du MFFP ont montré que la situation continue de se détériorer pour différentes populations. Dans certains secteurs, on ne compte « presque plus de caribous », selon le MFFP.

Globalement, le ministère évaluait, en 2012, que l’on comptait de 6000 à 8500 caribous forestiers au Québec. Ce chiffre sera assurément moins élevé lors de la publication du prochain bilan, selon le professeur au Département de biologie de l’Université du Québec à Rimouski et expert du caribou forestier Martin-Hugues St-Laurent.

Certaines populations sont carrément au seuil de la disparition, après des années de déclin. C’est le cas des six derniers caribous de la région de Val-d’Or, qui ont été placés en captivité en mars 2020. Ceux de Charlevoix, qui ne sont pas plus de 25, seront aussi tous placés en enclos sous peu. Dans le cas des caribous de la Gaspésie, le MFFP prévoit de capturer les femelles gestantes au cours de l’hiver prochain, et non les quelque 50 bêtes que compte la dernière population de caribous vivant au sud du Saint-Laurent.