Pendant que les forêts brûlent au nord, que les habitants des communautés menacées sont évacués, que des milliers de travailleurs forestiers sont sans accès à leur travail et que les Québécois respirent de la fumée comme jamais auparavant, c’est un bon moment pour prendre un pas de recul, pour réfléchir à notre aménagement des forêts, et plus largement à notre style de vie et à nos choix collectifs.

Source: Robert Beauregard, Ingénieur forestier et professeur à l’Université Laval

Des forestiers et biologistes se sont exprimés ces derniers jours pour réclamer un aménagement en adaptation aux changements climatiques, prenant en compte les risques futurs accrus d’incendies et d’épidémies d’insectes. Des représentants industriels ont réclamé que soit facilitée la récolte des forêts brûlées, avant que le bois résiduel ne soit gâté par les insectes xylophages. C’est très bien, mais il y a plus.

Il faut lire ou relire le rapport de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, dite commission Gélinas⁠1. Quelques semaines avant que la forêt ne se mette à brûler, les médias nous alertaient à propos du fait que le gouvernement du Québec s’apprêtait à déposer un plan de rétablissement du caribou sans prendre en compte le point de vue de plusieurs communautés des Premières Nations. Cette orientation viserait à préserver les emplois dans certaines communautés. Cela serait une grave erreur.

On ne peut pas aménager la forêt sans en protéger les fondements et sans écouter ce que les Premiers Peuples en disent. Nous en avons l’obligation légale et morale.

Ils ne souhaitent pas confisquer le territoire pour nous empêcher d’en profiter des bienfaits. Ils nous parlent, il faut les écouter. Les grands feux actuels sont des haut-parleurs qui nous hurlent de les écouter.

Il est impératif de cesser de mettre en opposition la protection des forêts et le développement économique. Il faut apprendre à protéger plus de forêts naturelles, tout en produisant plus et mieux là où les conditions le permettent, notamment en forêts privées. La Nouvelle-Zélande protège 80 % de ses forêts naturelles et elle a une productivité 15 fois supérieure à la nôtre sur les 20 % des forêts consacrés à la production de bois. Il faut accompagner l’évolution de l’industrie forestière et l’aménagement forestier vers des pratiques forestières et des modèles d’affaires soutenables.

Impliquer les communautés

Au Québec, plus de 200 municipalités et près de 30 communautés des Premières Nations vivent et dépendent du territoire forestier. Nous avons besoin d’impliquer ces communautés dans les décisions d’aménagement. L’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec dans une sortie récente réclame l’établissement du concept d’aménagiste désigné sur le territoire par lequel des décideurs locaux de toutes provenances pourront contribuer effectivement aux orientations et surtout aux actions d’aménagement forestier. C’est une idée à considérer. Les compétences locales des gens de ces communautés vont nous aider à mieux protéger et à mieux produire sur ces territoires.

L’industrie forestière est un fournisseur de biens et services dont la société a besoin plus que jamais. Elle fournit des matériaux et de plus en plus de l’énergie renouvelable, des substituts du béton, de l’acier et du pétrole.

La Stratégie québécoise de recherche et d’innovation en innovation (SQRI2) recommande spécifiquement de favoriser l’innovation dans l’industrie forestière dans le but de l’aider à mieux assumer son rôle de fournisseur de bioproduits pouvant jouer un rôle clé dans une économie verte permettant de remplacer des produits à forte empreinte carbone. Il faut prendre cette orientation et créer plus de richesse sans toujours couper plus d’arbres.

Dans une perspective d’économie circulaire, il est impératif d’adopter un règlement pour interdire l’enfouissement des déchets de bois de construction, de rénovation et de démolition pour les réintroduire dans les filières des panneaux composites, dans des bioproduits et la bioénergie. Il est impératif de mettre un terme à l’économie linéaire qui extrait les ressources, les consomme et les met aux poubelles. Les sites d’enfouissement sont les mines de demain.

Les grands incendies de forêt de 2023 ne sont pas d’abord un problème forestier. Ils sont le résultat des changements climatiques, eux-mêmes résultant d’abord et avant tout de l’abus des combustibles fossiles. Pour y mettre un terme, il faut remettre en question notre modèle de développement de la banlieue nord-américaine dans les régions métropolitaines de Montréal, de Québec et dans les villes moyennes, pour développer un aménagement urbain de proximité, misant sur le transport actif et collectif. Il faut construire des bâtiments de matériaux durables, dont le bois, des bâtiments chauffés à l’énergie renouvelable. Il faut finalement transformer nos industries pour passer de modèles extractivistes à des modèles circulaires des ressources renouvelables ou recyclables à l’infini. Il faut apprendre à créer plus de richesse sans toujours plus exploiter les ressources.

Est-ce possible ? Les pays du nord de l’Europe sont déjà engagés dans cette voie. Comme disait Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Ou comme dirait Ferland : « Si on s’y mettait ! »