Source: François Carabin, Radio-Canada

Publié le 5 août 2023


Dans un enclos de 14 hectares au sud de Val-d’Or subsistent neuf caribous forestiers. Une trace infime du troupeau qui dominait autrefois les forêts de la région. Leur sort est-il déjà scellé ? Deuxième texte de trois sur les caribous de Val-d’Or.

Depuis quelque temps, dans l’abri des gardiens qui borde l’enclos des caribous de Val-d’Or, un message accroché au mur avertit les employés de la présence d’un visiteur non autorisé. Sur cette feuille de papier, une photo d’Henri Jacob.

« Cette personne […] n’a pas le droit de venir visiter l’enclos. Demandez-lui poliment de quitter le site, car seuls les employés du ministère sont autorisés », est-il écrit.

Militant écologiste depuis 50 ans, Henri Jacob n’a jamais voulu se conformer. Dans les années 1980, celui qui est aujourd’hui président de l’Action boréale, un organisme qui promeut la protection de la forêt boréale en Abitibi-Témiscamingue, distribuait dans les écoles une pétition pour sauver le caribou. Une action qui lui valut d’être interpellé dans la presse locale par un travailleur forestier de la région : « L’éducation se devrait d’être positive et non de soulever nos enfants vers la signature de pétitions de la sorte. »

Alors quand il a su que le ministère ne souhaitait plus le voir près de l’enclos des neuf caribous de Val-d’Or, il n’en a pas fait grand cas. « Je ne prends pas ça comme une insulte, je prends ça quasiment comme un compliment qu’ils mettent ma photo là », affirme l’activiste de longue date, en entrevue avec Le Devoir.

« Depuis la première capture qu’ils ont faite, moi, à toutes les occasions que j’ai, je viens voir l’enclos. Mais je ne viens pas faire du dérangement, je ne m’en viens pas faire du bruit autour de cages », poursuit-il.

Or, depuis peu, constate-t-il, sa présence dans les environs attire l’attention. Ses petites escapades sur l’ancien chemin de chasse qui longe la clôture dérangent. « Depuis au moins presque deux ans et demi, les jeunes qui sont là, je voyais qu’ils avaient une bizarre d’attitude, comme s’ils voyaient quasiment un fantôme », dit-il.

Le militant de 71 ans ne s’en fait pas outre mesure. La sauvegarde des forêts et de tout ce qui y vit lui importe trop pour qu’il arrête de désobéir, affirme-t-il.

« Tu sais, quand ça fait cinquante ans, je me dis : “À mon âge, je ne me vois pas aller m’asseoir, me faire griller…” Ce qui me touche, c’est ce qui se passe sur le terrain, puis j’espère le faire le mieux possible. Tant mieux si ça dérange, si ça peut déranger pour que le monde se pose des questions. »

La forêt dans le sang

Henri Jacob n’était pas destiné à militer pour l’environnement. En fait, il n’a jamais pensé se retrouver là. « J’étais quelqu’un d’extrêmement introverti. La première fois que j’ai parlé dans un micro, je devais avoir une trentaine d’années », souligne-t-il.

« À 19 ans, j’ai quitté l’école pour aller travailler en exploration minière », comme plusieurs Abitibiens, raconte-t-il. « J’ai travaillé en foresterie, aussi, ce qui a fait en sorte que j’ai passé beaucoup de temps dans le milieu forestier. » Nul besoin de dire que ce n’est pas ce qui apparaît sur son profil LinkedIn.

À l’époque, il arrivait qu’il parte à la chasse dans ses temps libres. « J’ai arrêté parce que l’orignal que j’ai tiré, je l’avais vu quand il était petit, puis je l’avais vu presque tous les jours, affirme-t-il. Après ça, je n’étais plus capable. »

Avec le temps, Henri Jacob a développé un amour inconditionnel pour la forêt boréale. C’est sa maison, son terrain de jeu. Aussi bien dire que de la sève coule dans ses veines.

Dans les sentiers, il désigne du doigt des tapis de lichen, un petit crapaud… « Ça, c’est un pin blanc. C’est un peu le deuxième étage des forêts », lance-t-il, le regard tourné vers un imposant conifère aux branches biscornues.

« Deux visions »

M. Jacob n’est pas biologiste, bien que l’Association des biologistes du Québec lui ait remis un titre de membre honoraire en 2009. « Je suis un militant, un activiste », résume-t-il. Lorsqu’il a été invité à participer à la 15e Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) à Montréal, il a refusé : son travail est chez lui, « sur le terrain », dit-il.

« Il y en a en masse, des scientifiques », poursuit le militant, qui a participé à la création du Regroupement écologiste de Val-d’Or et de ses environs. « Ce n’est pas dans ma nature de faire de la théorie. »

À ses yeux, il y a au Québec des « écologistes des villes » et des « écologistes des champs ». Il reproche d’ailleurs au premier groupe d’avoir abandonné trop vite la lutte pour sauver le caribou forestier de Val-d’Or. « Ils manquent un peu d’adaptation quand ils touchent à un sujet en région », dit-il.

En dépit de sa proximité avec la nature, Henri Jacob n’a jamais su nager. À deux reprises, il lui est arrivé de tomber à l’eau et de passer proche de la mort, relate-t-il. « Quand tu tombes, il faut que tu te débattes jusqu’à ce que tu ne sois plus capable », lance-t-il. C’est la philosophie qu’il a adoptée dans son combat pour la survie du caribou de Val-d’Or.

« Il y a des luttes qui doivent être menées. Ça, à mon avis, c’en est une. »