Source: David Rémillard, Radio-Canada

Publié le 27 octobre 2021


« À la solde de l’industrie forestière », « déresponsabilisation », « inaction », manque de leadership… Des écologistes et opposants politiques au ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, sont désabusés par son intention de reporter à nouveau le dépôt de la nouvelle stratégie de protection de l’habitat du caribou.

Radio-Canada rapportait mercredi que le gouvernement Legault avait en effet l’intention de repousser à 2024 la mise en œuvre de la stratégie, qui n’a pas été actualisée depuis une dizaine d’années au Québec. Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) promettait pourtant l’an dernier qu’elle serait lancée cet automne.

Voilà qu’un nouvel échéancier suppose plutôt la création d’une commission indépendante en 2022, chargée d’analyser différents scénarios de protection du caribou et leurs impacts socio-économiques. Le gouvernement n’aurait un scénario final en main qu’après les élections de l’automne prochain.

Pour une seconde journée consécutive, le ministre a refusé mercredi d’expliquer ces nouvelles orientations. Des annonces sont prévues, dit-il, d’ici les prochaines semaines.

Une harde de caribous forestiers
Le caribou forestier est inscrit à la liste des espèces en péril depuis le début des années 2000. (archives). PHOTO : RADIO-CANADA

Si ce développement est accueilli avec déception, il ne surprend personne parmi les adversaires du ministre Pierre Dufour. À voir comment le ministre manœuvre ses dossiers, je ne suis vraiment pas surprise de voir que tout ce qui touche à la faune ou à la sauvegarde de nos espèces, c’est mis au rancart, assène la députée solidaire Émilise Lessard-Therrien.

« Ce qui est d’autant plus frustrant, c’est que des plans, des rapports et des stratégies, le ministre en a dans les tiroirs de son bureau. »

Émilise Lessard-Therrien, députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Québec solidaire

La députée accuse le ministre d’être à la solde de l’industrie et d’ignorer les solutions qui lui sont proposées. Certaines de ces solutions, poursuit-elle, proviennent ironiquement des compagnies forestières.

J’aimerais quand même réitérer à quel point c’est possible d’allier foresterie avec la sauvegarde du caribou. […] On a des exemples d’industries forestières capables de conjuguer leurs activités avec le caribou forestier, soutient Mme Lessard-Therrien.

Manque de leadership

Le député péquiste de Jonquière, Sylvain Gaudeault, juge lui aussi inacceptable le nouveau délai proposé par le gouvernement. Comme Mme Lessard-Therrien, M. Gaudreault estime que l’industrie forestière est prête à s’adapter aux mesures de protection du caribou. Encore faut-il qu’une stratégie claire soit mise de l’avant.

À son avis, le ministre n’a pas le leadership pour conjuguer la protection de la faune et le déploiement d’une économie verte basée sur une exploitation modernisée de la forêt. Ce faisant, Pierre Dufour crée de l’incertitude au sein de l’industrie, selon le représentant du Parti québécois.

« Le ministre réussit le tour de force de se mettre tout le monde à dos. »

Sylvain Gaudreault, député de Jonquière, Parti québécois

Il se met le milieu environnemental à dos parce que c’est encore un report sur la protection d’une espèce qui est menacée. Et il se met l’industrie à dos parce qu’il ajoute à l’insécurité et au manque de prévisibilité de l’industrie, ajoute M. Gaudreault.

Ce dernier souligne le fait que trois importants chantiers sont en cours au gouvernement, lesquels ajoutent tous à cette instabilité.

Le MFFP, ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, planche à la fois sur une nouvelle stratégie de protection du caribou et une modernisation du régime forestier. En parallèle, le Forestier en chef du Québec calcule actuellement les possibilités forestières pour la période 2023-2028, mais en se basant sur l’ancienne stratégie de protection de l’habitat du caribou, ce qui ouvre la porte à des modifications quand un nouveau plan sera déposé.

L’industrie est plongée dans une imprévisibilité insondable, se désole M. Gaudreault.

Des hardes condamnées

Pour l’Action boréale, qui tente depuis des années de sauver la harde de Val-d’Or, le report de la stratégie signifie la mort de certains troupeaux en situation critique. Ce report signifie ni plus ni moins la condamnation des trois petites hardes isolées de Val-d’Or, de Charlevoix et de la Gaspésie, dénonce Henri Jacob, président de l’organisme.

Il ne reste aujourd’hui que sept caribous en captivité à Val-d’Or. La captivité attend aussi la harde de Charlevoix, dont il ne reste qu’une vingtaine de bêtes. En Gaspésie, seule une quarantaine de caribous montagnards ont été observés en 2020.

M. Jacob accuse Pierre Dufour d’ignorer les plans de sauvetage qui lui sont présentés, dont un pour la harde de Val-d’Or déposé en 2019 à la demande du ministre lui-même. Avec le report de la stratégie de protection du caribou forestier, le ministre Dufour vient de montrer tout son mépris envers les citoyens et organismes qui ont travaillé de bonne fois dans ce dossier, décoche le militant écologiste.

Dans le cas de la harde de Charlevoix, le Conseil régional de l’environnement (CRE) Capitale-Nationale déplore l’inaction du gouvernement. Il sera toujours possible de travailler avec les communautés dépendantes de l’industrie forestière pour rendre leur économie plus résiliente, mais nous ne pourrons pas rétablir la population de caribou sans des actions fermes et immédiates, a déclaré mercredi David Viens, coordonnateur de projets en milieux naturels au CRE, Conseil régional de l’environnement Capitale-Nationale.

Attendre 2024, c’est attendre qu’il soit trop tard. On ne peut même pas se permettre d’attendre l’année prochaine pour sauver le caribou de Charlevoix, conclut le CRE, Conseil régional de l’environnement Capitale-Nationale.