Le caribou est évidemment le premier à souffrir du manque de mesures de protection pour assurer sa survie, mais les gouvernements du Québec et du Canada font également face à de nombreux risques importants dans l’éventualité où cette espèce parapluie viendrait à disparaître. Des chercheurs québécois ont évalué ces risques, et bon nombre d’entre eux ont une probabilité très élevée de se concrétiser.
Publié le 21 juin
Source: Éric-Pierre Champagne, La Presse
Huit catégories de risques
Des chercheurs de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique, affiliée à l’Université du Québec en Outaouais, ont réalisé une analyse des risques liés au déclin des populations de caribous au Québec. L’étude, d’une trentaine de pages, évalue huit catégories de risque qui pèsent sur le caribou, mais aussi sur les gouvernements fédéral et provincial, l’industrie forestière, les communautés locales et les peuples autochtones. « Si j’étais le premier ministre [du Québec], j’aimerais ça, avoir une analyse comme celle-là », lance Julie Pelletier, coauteure de l’étude en compagnie des chercheurs Jérôme Dupras et Julie Lafortune.
Des enjeux multiples
L’analyse intitulée Perspectives globales sur les risques liés au déclin des populations de caribous du Québec indique vouloir « mettre en lumière la multitude d’enjeux à considérer pour la sauvegarde de cette espèce [le caribou] ».
Les auteurs ont évalué huit catégories de risque : 1. biodiversité, 2. gouvernance et orientations stratégiques, 3. valeurs et éthique, 4. juridiques, 5. réputationnels, 6. économiques, 7. sociaux – communautés autochtones, 8. sociaux – travailleurs et grand public. Cinq de ces risques « présentent une probabilité très élevée de se concrétiser et présenteraient des impacts majeurs », évaluent les chercheurs. « Cela signifie que des mesures insuffisantes de protection sont susceptibles d’avoir des conséquences significatives aux niveaux national et international sur la biodiversité, le pouvoir public, mais également sur certaines populations du Québec, dont les Premières Nations », ajoutent-ils.
Un outil pour la prise de décision
La chercheuse Julie Pelletier, une juriste, a travaillé pendant 25 ans au sein de la fonction publique fédérale, « où les analyses de risque sont très utilisées », explique-t-elle en entrevue avec La Presse.
C’est en constatant l’ampleur des informations transmises à la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, tenue par Québec en 2021, que Mme Pelletier a eu l’idée de réaliser une telle analyse. Face à des enjeux comme celui du caribou, « c’est un outil de gestion qui aide à la prise de décision », précise-t-elle. Mme Pelletier affirme qu’elle ne serait pas surprise que le fédéral, et même le gouvernement du Québec, en ait une au sujet du caribou.
Le caribou : une espèce parapluie
Parmi les risques les plus évidents, les impacts sur le caribou et la biodiversité figurent au premier rang. Le caribou étant considéré comme une espèce parapluie, sa disparition pourrait également avoir des impacts sur d’autres espèces et sur des écosystèmes forestiers, signalent les chercheurs. À l’inverse, une meilleure protection de son habitat permettrait « de maintenir ou d’améliorer la disponibilité et la qualité de plusieurs services écosystémiques : stockage et séquestration du carbone, rétention des sédiments, recharge des eaux souterraines et traitement des polluants », ajoutent-ils. L’analyse mentionne aussi qu’« une protection additionnelle des habitats du caribou contribuerait à la préservation de 30 % des terres du Québec, l’objectif phare de la COP15 sur la biodiversité ».
Gare aux recours judiciaires
Les risques juridiques et réputationnels ont également une possibilité très élevée de se concrétiser, jugent les chercheurs. On estime que nombre de recours devant les tribunaux seraient déployés « si des interventions gouvernementales significatives et sérieuses ne sont pas mises en place pour sauver l’espèce ». Rappelons que le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a déjà indiqué à son homologue québécois, Benoit Charette, qu’il interviendrait pour sauver le caribou en vertu de la Loi sur les espèces en péril si Québec ne mettait pas en place un plan de protection d’ici le mois de juin. Ottawa pourrait également se voir forcer d’adopter un décret fédéral comme ceux mis en place pour une autre espèce menacée, la rainette faux-grillon, en 2016 et en 2021. Les risques réputationnels pour les gouvernements du Québec et du Canada seraient aussi inévitables, sur la scène tant nationale qu’internationale.
Des redevances de moins en moins importantes
Bien que les enjeux économiques dominent largement lorsqu’il est question de la protection du caribou, l’analyse soutient que l’industrie forestière survit entre autres grâce aux subventions publiques. Par exemple, Québec percevait 82 cents en redevances forestières pour chaque dollar dépensé en 2004. Cette proportion est passée à 41 cents en 2013, indique-t-on. Selon Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec, Québec devrait justement se doter d’une analyse socioéconomique plus robuste au sujet des droits de coupe, et cette analyse des risques serait un bon point de départ. « L’étude montre bien aussi l’importance [du caribou] pour les communautés autochtones », affirme-t-il. « Peu importe où ira le gouvernement [du Québec], ce type d’analyse permet d’avoir une évaluation dans une perspective globale, rappelle Julie Pelletier. C’est un exercice qui aurait dû être commencé il y a longtemps », ajoute-t-elle.