Source: Annabelle Blais, Journal de Montréal

Publié le 13 avril 2022

Alors qu’Ottawa lui reproche de ne pas en faire assez pour protéger le caribou forestier, le ministre des Forêts et de la Faune Pierre Dufour a plutôt montré du doigt des expéditions de chasse autochtone menées sur la Côte-Nord cet hiver.


«On a des populations qui travaillent à améliorer la préservation et, de l’autre côté, j’ai eu une communauté autochtone, dans l’est de la province, qui est allée détruire pas loin de 10% d’un cheptel où il y avait 500 caribous forestiers, environ», a affirmé le ministre Dufour mercredi.

Il faisait référence à un article du Journal publié la semaine dernière où l’on pouvait lire que 50 caribous forestiers avaient été tués depuis le début de l’année, lors d’expéditions auxquelles ont pris part des membres de la communauté innue de Nutashkuan (Natashquan), au nord de la Centrale de la Romaine-4.

«Assez hypocrite de voir la CAQ qui pointe du doigt, au lieu de prendre ses responsabilités», a aussitôt réagi sur Twitter Kate Legault-Meek, la directrice des affaires parlementaires du ministre de l’Environnement du Canada, Steven Guilbeault.

Québec interdit la chasse au caribou forestier, une espèce qui est menacée. Il n’en reste que 5250 environ dans la province. Des communautés autochtones revendiquent toutefois leurs droits aux traditions ancestrales.

«Si on a une communauté qui s’en va, sous prétexte de sa bienfaisance, tuer des caribous dans un cheptel menacé et vulnérable, je pense qu’eux autres non plus n’aident pas la situation», a ajouté M. Dufour.

Des communautés autochtones sont toutefois très impliquées dans la sauvegarde de l’espèce. Par exemple, le Conseil des Innus de Pessamit, à près de 60 km de Baie-Comeau, a notamment suspendu la chasse au caribou forestier depuis 2008, afin de protéger cette espèce sacrée pour eux.

«À mon avis, il est malheureux de tenter de mettre en confrontation un cas de chasse autochtone, justifiée ou non, et la situation du caribou forestier», a d’ailleurs réagi André Côté, directeur du secteur Territoire et ressources du Conseil des Innus de Pessamit. «Les causes principales du déclin du caribou forestier et montagnard sont bien connues et documentées.»

Effectivement, il a été établi que l’espèce a surtout été décimée par l’exploitation forestière.

«À l’échelle du Canada et du Québec, les coupes [forestières] sont liées au déclin du caribou», observe Steeve Côté, biologiste à l’Université Laval et fondateur du programme Caribou Ungava. Il précise toutefois qu’il n’y a pas de coupe dans le secteur où les expéditions ont eu lieu, au nord de la Romaine-4.

Le Conseil des Innus de Pessamit a d’ailleurs invité à de nombreuses reprises le ministre Pierre Dufour à venir discuter de l’importance du lien entre le caribou et la culture innue. Le Conseil souhaite aussi lui faire part de propositions pour protéger l’espèce tout en limitant les impacts sur l’industrie forestière. M. Dufour n’a jamais répondu aux invitations.

Ronald Brazeau, directeur du département des ressources naturelles du Conseil de la Nation Anishnabe du Lac Simon, a pour sa part déclaré :

 « Le fédéral et le provincial se lancent la balle sur la juridiction du dossier du caribou, mais où est la place pour l’écoute des Premières Nations. Il faut prioriser le leadership autochtone plutôt que jeter le blâme sur les Premières Nations pour détourner l’attention des inactions et manquements du ministère des forêts, de la faune et des parcs. »

« Nous sommes estomaqués par la malveillance et le détournement de responsabilité du gouvernement québécois face au sort du caribou», a réagi Olivier Kölmel de Greenpeace Canada. Insinuer que des communautés autochtones sont la cause du déclin du caribou est effronté, alors que le ministre continue d’écarter leurs plans de protection.  Les propos du ministre sont plus que déplacés et un bel exemple du racisme systémique au sein de notre gouvernement. Les peuples autochtones sont les plus touchés par la crise de la biodiversité. Un décret d’urgence de la part du fédéral est plus que bienvenu. »

Tensions Québec-Ottawa

Selon le ministre de l’Environnement du Canada Steven Guilbeault, Québec ne coopère pas et ne s’implique pas assez dans la sauvegarde du caribou. Le ministre a donc lancé un ultimatum la semaine dernière: Québec a jusqu’au 20 avril pour fournir toute information démontrant ses actions et sa bonne volonté, sans quoi le fédéral imposera un décret de protection qui lui permettra de contrôler lui-même la gestion des activités sur le territoire habité par le caribou.

De son côté, le ministre Dufour se défend de ne pas agir et souligne la construction d’enclos destinés à protéger de petites hardes isolées, «pour se donner le temps de voir quelles sont les actions qu’on va faire».

Québec a également mis sur pied la Commission indépendante sur les caribous forestiers, dont les consultations viennent d’ailleurs tout juste de commencer. Aucun expert du caribou n’y siège, un problème majeur selon le biologiste Steeve Côté.

«L’Assemblée des Premières Nations (APNQL) regrette que le mandat de la Commission soit d’évaluer les impacts économiques des mesures de protection du caribou sur l’aménagement forestier, plutôt que de tenir compte des conséquences de l’exploitation forestière sur le caribou et les droits des Premières Nations», a fait savoir l’APNQL par communiqué, y a deux jours.

Le premier ministre François Legault a encore rappelé cette semaine qu’il souhaitait un «équilibre» entre la sauvegarde de l’espèce et la protection des emplois.

Des communautés des Premières Nations innues d’Essipit et de Mashteuiatsh jugent aussi la Commission «inutile» et accusent Québec d’essayer de gagner du temps. Ces communautés ont même déposé contre Québec, en Cour supérieure, une requête pour dénoncer le manque de consultation des Premières Nations dans la protection du caribou.