Source: Priscilla Plamondon Lalancette, Radio-Canada

Publié le 6 novembre 2021


Au moment où le Canada a signé un accord historique à la COP26 pour préserver ses forêts et maintenir la biodiversité, fonctionnaires, scientifiques et Autochtones dénoncent le message contradictoire envoyé par Québec, qui vient de reporter sa stratégie de protection du caribou forestier.

C’est surprenant de voir à quel point ce qui a été signé détonne des actions concrètes prises sur le terrain au Québec. C’est ironique, affirme Martin-Hugues St-Laurent, professeur en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

« Malgré la présence de François Legault à Glasgow, l’angle mort est fort concernant la préservation des vieilles forêts et des espèces qui en dépendent, comme le caribou. »

Le professeur en écologie animale Martin-Hugues St-Laurent

Depuis des années, les experts sonnent l’alarme et pressent Québec d’agir pour sauvegarder le caribou, qui est sur la liste des espèces en péril au Canada. Or, la mise en place de mesures visant à protéger son habitat a été reportée à 2023 par le gouvernement Legault vendredi, afin de tenir une commission indépendante sur la question.

Il repousse toujours aux calendes grecques le moment où on va commencer à s’en occuper de façon sérieuse et ce n’est pas par manque de connaissances. C’est une des espèces les plus étudiées présentement en Amérique du Nord, ajoute M. Saint-Laurent.

Il y avait urgence d’agir déjà au début des années 2000. On voit ce qui est arrivé. Les populations qui étaient isolées sont en train de disparaître à Val-d’Or, en Gaspésie et dans Charlevoix, se désole le professeur de biologie à l’Université Laval Daniel Fortin, qui se préoccupe lui aussi de ces nouveaux délais.

Le contenu exact de l’entente signée mardi par une centaine de pays, dont le Canada, n’est pas encore connu. Elle vise principalement à freiner la déforestation d’ici 2030, les arbres ayant un immense rôle à jouer dans la lutte contre les changements climatiques.

Les scientifiques espèrent que cet accord permettra de changer la donne pour l’avenir du caribou, qui est une espèce emblématique du Canada, car il obligera la protection de son écosystème.

On sait déjà ce qu’il faut faire pour protéger les caribous. Il s’agit juste d’avoir le courage politique de prendre des actions concrètes. Si la protection n’est pas faite en ce moment, c’est parce que le lobbying des compagnies forestières est très important, assure M. Fortin, qui fait partie de l’Équipe de rétablissement du caribou forestier du Québec.

Des critiques au sein du ministère de la Forêt et de la Faune

Même des spécialistes du ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs (MFFP) sont désabusés. Ils ont confirmé à Radio-Canada que le gouvernement avait toutes les données et les solutions en main pour le caribou, mais qu’il n’écoutait pas ses fonctionnaires.

C’est pour ça qu’on embauche des spécialistes. Les professionnels de l’État, c’est ça leur job, c’est ça leur mission, de conseiller le politique pour qu’il prenne les bonnes décisions. Mais là, on se rend compte que le gouvernement n’a pas l’oreille pour ses spécialistes, il a l’oreille pour l’industrie, critique la présidente du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), Line Lamarre.

« Il y aurait une présence, très, très importante de l’industrie forestière qui imposerait ses manières de faire et les gens à l’interne sont fatigués. »

La présidente du SPGQ, Line Lamarre

Alors que tous les yeux sont tournés vers Glasgow, Mme Lamarre déplore l’obsession de la Coalition avenir Québec (CAQ) pour le développement économique au détriment de la planète et des générations futures.

Cet écosystème-là, si on n’arrête pas de le piétiner, si on ne le respecte pas, à la fin on n’aura plus besoin d’avoir d’économie, parce qu’on va être incapable d’assurer notre survie, dit-elle.

Les experts s’entendent pour dire qu’il faut réduire les coupes forestières dans la province puisqu’elles sont le principal facteur de perturbation de l’habitat du caribou. Afin que cet animal résiste aux changements climatiques, il a besoin de vieilles forêts pour s’abriter et se nourrir.

À un an des élections, on voit que le gouvernement ne veut pas avoir ce dossier-là dans les pattes, souligne Martin-Hugues St-Laurent de l’UQAR.

Si le Canada veut protéger la biodiversité, un des premiers gestes à poser est de protéger le caribou, explique le professeur de l’Université Laval Daniel Fortin.

On considère que le caribou est une espèce parapluie, c’est-à-dire que lorsqu’on fait un aménagement qui est adéquat pour le caribou, on protège plusieurs autres espèces qui vivent dans le même environnement. Comme les caribous ont des domaines vitaux très grands, on doit protéger de grandes superficies, ce qui est excellent pour la biodiversité, dit-il.

Les Innus de Mashteuiatsh inquiets

La communauté innue de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, espère qu’il y aura une entente au sein du Canada pour sauvegarder le caribou, d’autant que le nouvel accord annoncé en Écosse prévoit une participation active des peuples autochtones dans la prise de décision.

Pour nous, la priorité c’est d’implanter rapidement des mesures. Voir disparaître cet emblème tellement important pour notre population, pour notre culture, pour notre identité, ça nous inquiète grandement. Grâce au caribou, on a pu survivre de façon millénaire sur nos territoires, raconte le chef de bande de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique.

Il souhaite que les Premières Nations aient leur mot à dire en amont des décisions. Gilbert Dominique déplore d’ailleurs que Québec traite les Innus sur le même pied d’égalité que les grandes compagnies forestières lors des consultations.

Un bras de fer entre Québec et Ottawa?

Selon plusieurs intervenants au fait du dossier, la signature d’une entente internationale visant à préserver, entre autres, la forêt boréale, laisse présager un bras de fer entre Ottawa et Québec, qui n’aurait pas été consulté au préalable.

Il va sûrement y avoir un affrontement sur cette compétence-là, qui est de juridiction provinciale et territoriale, pour un engagement qui vient d’être pris par le gouvernement fédéral, analyse le professeur Martin-Hugues St-Laurent.

Ottawa pourrait d’ailleurs forcer Québec à agir plus vite pour assurer la survie du caribou en vertu de la Loi sur les espèces en péril, explique-t-il.

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, a hâte de voir les éléments contenus dans l’accord de Glasgow. Mais il n’entend pas changer son plan de match pour autant.

« Ça ne nous met pas de pression de régler plus rapidement. Je crois qu’on le fait de façon sérieuse, consciencieuse. »

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, Pierre Dufour

En entrevue à Radio-Canada, Pierre Dufour a toutefois décoché une flèche au gouvernement Trudeau. Au niveau du fédéral, il y a la promesse de planter deux millions d’arbres. On n’a pas encore vu la couleur de quoi que ce soit. Donc à un moment donné, c’est beau de faire des annonces, mais ce serait le fun aussi que les suivis finissent par aboutir, lance-t-il.