Le report de la stratégie de protection de l’habitat par le gouvernement a provoqué une levée de boucliers chez les environnementalistes et les biologistes.

Source: David Rémillard, Radio-Canada

Publié le 9 novembre 2021


Devant de ce qu’ils qualifient « d’inaction » de la part du Québec, des groupes écologistes songent « très sérieusement » à traîner le gouvernement fédéral devant les tribunaux afin d’accélérer la protection de l’habitat du caribou, menacé par les coupes forestières et de multiples perturbations.

Le report de la stratégie de protection l’habitat du caribou forestier et montagnard, confirmé la semaine dernière par le ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, a été mal accueilli chez les environnementalistes. D’autant plus que le ministre avait promis de présenter la stratégie cet automne.

M. Dufour a plutôt annoncé, par voie de communiqué, la constitution d’une commission indépendante chargée d’analyser deux scénarios alliant protection du caribou et industrie forestière. Les travaux se tiendront en 2022 pour une mise en œuvre de la stratégie l’année suivante, voire même en 2024.

Le gouvernement caquiste avait reporté le dépôt de son plan une première fois en 2019, annonçant ensuite la création d’une méta-analyse, laquelle n’a toujours pas été rendue publique.

Des organismes veulent maintenant pousser Ottawa à sauter dans la mêlée en faisant appel à la Cour fédérale.

Face aux multiples reports du gouvernement du Québec, la SNAP Québec (Société pour la nature et les parcs) examine sérieusement la possibilité d’aller devant les tribunaux pour accélérer la protection des habitats du caribou forestier

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec).

L’organisme est appuyé dans ses démarches par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et Nature Québec.

Loi sur les espèces en péril

Pour la SNAP Québec, le gouvernement du Québec a la première responsabilité d’assurer la protection du caribou, puisqu’il s’agit d’un animal vivant en milieu terrestre. Mais devant sa valse-hésitation à présenter une stratégie de protection de l’habitat, l’organisme croit qu’il est temps pour le fédéral d’intervenir.

À l’instar de la rainette faux-grillon ou du chevalier cuivré, deux espèces en situation précaire pour lesquels des écologistes ont mené la lutte en sollicitant le système judiciaire, la Loi sur les espèces en péril (LEP) pourrait être invoquée. Le caribou des bois figure en effet à la liste annexée à cette loi fédérale.

Les démarches de la SNAP Québec viseraient notamment à démontrer que le Québec ne protège pas suffisamment son habitat essentiel, une obligation pourtant prévue dans la loi. Il y a cette possibilité-là, mais il y a aussi d’autres leviers, souligne M. Branchaud. On examine nos différentes possibilités.

Si le gouvernement du Québec n’a pas l’intention d’assurer la survie et le rétablissement du caribou forestier, qu’il l’annonce de façon claire et qu’il arrête de jouer à ce jeu de reports de stratégie et de consultations à n’en plus finir.

Alain Branchaud, directeur général, Société pour la natures et les parcs du Québec

Comme la majorité des spécialistes du caribou, la SNAP Québec est d’avis que la connaissance scientifique et les savoir-faire traditionnels autochtones sont suffisamment avancés pour prendre des décisions éclairées sur l’avenir de l’espèce.

En plus de cesser les coupes dans l’habitat du caribou, les organismes plaident pour la mise en place d’aires protégées de plusieurs milliers de kilomètres carrés et la fermeture de chemins forestiers.

Des coupes forestières dans le territoire des Atikamekw.
Conjuguer industrie forestière et protection du caribou est un dossier sensible pour le gouvernement du Québec. PHOTO : RADIO-CANADA / MARIE-LAURE JOSSELIN

Report injustifié

Le CODE (Centre québécois du droit de l’environnement)  un allié de la SNAP Québec quand vient le temps de saisir les tribunaux, s’investit activement dans ce dossier. Aucune démarche n’est exclue, déclare à son tour Geneviève Paul, directrice générale du Centre, sans toutefois donner plus de détails sur la forme que pourrait prendre le recours judiciaire.

Dans le cas de la rainette faux-grillon, les organismes avaient déposé une demande d’injonction en Cour supérieure pour freiner des travaux d’agrandissement d’un boulevard dans l’habitat essentiel de l’espèce. La Cour fédérale avait aussi été saisie en parallèle.

Le CODE (Centre québécois du droit de l’environnement) demeure très préoccupé par la situation du caribou forestier et déplore le report de la stratégie de protection de l’habitat du caribou forestier, qui nous semble totalement injustifié, ajoute Mme Paul.Surtout en sachant à quel point la situation est critique.

Pas une première

Si l’initiative légale va de l’avant, ce ne sera pas une première pour la SNAP Québec dans sa tentative de protéger le caribou forestier. L’organisme a en effet intenté une poursuite contre le gouvernement fédéral en 2017, taxant la ministre de l’Environnement de l’époque, Catherine McKenna, de ne pas en faire assez pour appliquer les principes de la Loi sur les espèces en péril.

Cette démarche visait à forcer Ottawa de respecter l’article 63 de la loi, l’obligeant à produire des rapports sur la partie non protégée de l’habitat essentiel d’une espèce protégée.

La SNAP Québec déplorait également l’inaction de Québec. Peu de temps avant, l’ex-premier ministre Philippe Couillard avait déclaré qu’il n’allait pas sacrifier un emploi pour la protection du caribou forestier. J’ai dit dès le début qu’on ne sacrifierait pas d’emploi pour le caribou forestier, je le redis aujourd’hui, avait-il lancé en réaction à la poursuite des environnementalistes contre Ottawa.

Il reste à ce jour entre 6500 à 8000 caribous sur le territoire québécois. Des hardes ont cependant atteint des seuils critiques, comme dans Charlevoix, à Val-d’Or et en Gaspésie. Des inquiétudes pointent aussi pour la harde du secteur Pipmuacan, au Saguenay-Lac-Saint-Jean.