Publié le 14 juin 2023

Source: David Rémillard, Radio-Canada


Le gouvernement fédéral accordera un délai supplémentaire au gouvernement du Québec pour qu’il dépose sa stratégie de protection du caribou forestier et montagnard. Les incendies de forêt qui font rage dans la province ont convaincu Ottawa de se montrer plus flexible.

La nouvelle devrait être confirmée par le fédéral d’ici la fin de la semaine, selon plusieurs sources bien au fait du dossier. Aucune échéance précise n’aurait été fixée pour le moment, bien qu’Ottawa souhaite avoir une stratégie sur son bureau plus tôt que tard, a indiqué une source. La période de grâce ne sera pas illimitée, a-t-on insisté.

Le cabinet du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, parle depuis plus d’un an d’imposer un décret de protection de l’habitat essentiel du caribou si le Québec n’en fait pas davantage pour protéger cette espèce.

Dans la foulée, M. Guilbeault a demandé au Québec de lui présenter une stratégie d’ici la fin du mois de juin, sans quoi il allait devoir recommander une intervention à ses collègues ministres du gouvernement Trudeau.

En vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada, à laquelle le caribou boréal est assujetti, un tel décret pourrait signifier une prise de contrôle du fédéral sur de vastes pans du territoire québécois afin d’en protéger les habitats propices à ce cervidé. Les usages comme l’exploitation économique de la forêt en seraient alors affectés.

Or, en raison des feux de forêt historiques qui font rage au Québec, le cabinet du ministre Guilbeault se dit prêt à repousser sa date butoir et à suspendre le processus de mise en œuvre du décret.

Selon nos informations, des échanges ont eu lieu entre les deux ordres de gouvernement au cours des derniers jours à propos des incendies. Ottawa et Québec ont alors convenu d’une période de sursis pour permettre à la province de réviser ses plans en fonction des ravages causés par les brasiers. Dans un monde idéal, le document serait tout de même déposé d’ici le 30 juin.

Près d’un million d’hectares de forêt ont déjà brûlé.

De la fumée au loin dans la forêt derrière un lac.
Les feux de forêt bouleversent les échéanciers et même le contenu de la stratégie de protection du caribou forestier au Québec. PHOTO : GRACIEUSETÉ DE JANNIE LALONDE

Devoirs à refaire

Le premier ministre du Québec, François Legault, avait déjà annoncé les couleurs de son gouvernement la semaine dernière. En point de presse, il avait affirmé que la stratégie devrait être revue en raison des feux de forêt et qu’il faudrait plus de temps avant de procéder aux annonces qui étaient prévues d’ici la fin du mois.

La ministre des Ressources naturelles [Maïté Blanchette Vézina] est déjà à pied d’œuvre pour être capable, effectivement, de tenir compte des impacts de ce qu’on voit actuellement avec les feux de forêt sur le régime forestier. Même chose aussi pour la protection du caribou. Donc, ce qui était prévu d’être annoncé dans les prochains jours, on est en train de tout revoir ça, avait dit M. Legault.

Jeudi, le cabinet du ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette, a abondé dans ce sens. Nous sommes en discussion avec nos partenaires fédéraux. Nous sommes tous sensibles à la question des feux de forêt et à l’impact potentiel de ceux-ci sur la stratégie caribou. Nous devons prendre le temps de bien analyser le tout avant de procéder au dépôt, a-t-on fait valoir.

Encore des délais

Il s’agit d’un énième report de la présentation de la stratégie de protection du caribou forestier et montagnard du Québec. Lors de son premier mandat, la Coalition avenir Québec s’était engagée à la dévoiler en 2019.

Le gouvernement Legault n’était pas allé de l’avant et avait par la suite mis sur pied une commission chargée d’examiner divers scénarios de protection du caribou en fonction de leurs impacts économiques. L’été dernier, la commission a conclu que Québec devait agir rapidement et de façon musclée pour sauver les 13 hardes sur son territoire. Il ne resterait actuellement qu’un peu plus de 5000 bêtes dans toute la province.

En parallèle, le ministre Steven Guilbeault a multiplié les pressions, parvenant à obtenir des engagements du Québec. Le gouvernement Legault s’est notamment engagé à limiter à 35 % le taux de perturbation des habitats dans l’aire de répartition du caribou.

Steven Guilbeault s’attend également à une protection de 65 % de l’habitat désigné par les biologistes pour chacune des hardes. La province et le gouvernement fédéral espèrent imbriquer ces objectifs au moyen d’une entente sur les espèces en péril, laquelle impliquerait aussi du soutien financier de la part d’Ottawa.

Un paysage diversifié avec de la forêt, une rivière et un marais.
La protection de massifs forestiers matures est le nerf de la guerre pour assurer la survie du caribou forestier. PHOTO : RADIO-CANADA

Une fois que la stratégie sera présentée au gouvernement fédéral, le ministère canadien de l’Environnement et du Changement climatique devra en analyser le contenu, après quoi des décisions politiques seront prises à propos d’un éventuel décret de protection de l’habitat essentiel.

Si la stratégie présentée ne suffit pas, M. Guilbeault pourrait alors aller de l’avant avec une intervention. Le recours au décret de protection de l’habitat essentiel n’a jamais été utilisé depuis l’instauration de la Loi sur les espèces en péril.

Obligation juridique

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs, section Québec (SNAP Québec), rappelle que la loi fédérale oblige le ministre à agir s’il est constaté qu’une province ou un territoire n’en fait pas suffisamment pour protéger une espèce en péril.

Dans le cas du caribou, le ministre Steven Guilbeault a déjà admis publiquement que le Québec ne remplissait pas son rôle et qu’une stratégie plus costaude était nécessaire pour éviter une intervention du fédéral.

La quasi-totalité de l’habitat essentiel du caribou forestier sur le territoire du Québec n’est pas protégée efficacement, écrivait d’ailleurs le ministre au gouvernement du Québec en février dernier. Selon M. Branchaud, M. Guilbeault ne doit pas perdre de vue ses obligations malgré le nouveau délai accordé.

En ce qui a trait aux feux, M. Branchaud n’y voit d’ailleurs pas un argument qui est très solide pour repousser l’échéance. S’il est sensible aux conséquences des incendies, en particulier pour les communautés locales et autochtones, il rappelle que le Québec ne devait pas présenter une stratégie finale mais plutôt une proposition de stratégie ainsi que des mesures intérimaires en attendant son entrée en vigueur.

La période de consultations aurait été l’occasion d’ajuster le tir et de prendre acte des dernières informations et des impacts sur les sites visés, croit-il. Il aurait préféré un dépôt officiel de la stratégie avant la fin du mois plutôt que de subir une révision et de nouveaux délais avant de poser les yeux sur le document.

Selon la SNAP Québec, au moins 35 000 kilomètres carrés de nouvelles aires protégées dans l’habitat du caribou devront figurer au sein de la stratégie pour que celle-ci soit viable. M. Branchaud espère également des mesures concrètes pour limiter les perturbations des territoires à protéger.

Lors des préconsultations, ce printemps, des Premières Nations, dont les Innus, ont déploré une stratégie trop timide. L’industrie forestière a pour sa part martelé que de nouvelles mesures de protection pourraient causer des pertes d’emplois considérables.