Le ministre Steven Guilbeault accuse le gouvernement Legault de ne pas écouter la science.

Publié le 24 juin 2022

Source : David Rémillard, Info Radio-Canada


Les négociations entre Québec et Ottawa concernant le caribou boréal ne progressent pas, déplore le ministre Steven Guilbeault. « Le caribou ne vote pas », rappelle-t-il à l’aube d’une campagne électorale dans la province et exigeant des mesures de protection supplémentaires à court terme.

Il y a maintenant plus de deux mois que le titulaire fédéral de l’Environnement et du Changement climatique a fait parvenir une lettre au gouvernement Legault afin de lui signaler son intention d’intervenir pour protéger les hardes de caribous forestiers et montagnards en sol québécois.

En l’absence de gestes significatifs ou d’une entente avec le Québec sur la protection des espèces en péril, dont la dernière version est échue depuis le 31 mars, Ottawa prépare toujours un décret sur l’habitat essentiel de l’emblématique cervidé.

Le mécanisme, prévu dans la Loi sur les espèces en péril au Canada, permettrait au fédéral d’avoir la mainmise sur quelque 32 000 kilomètres carrés de territoire et sur les activités qui y ont cours pour une période allant jusqu’à 5 ans.

S’il espérait trouver un accord par le dialogue il y a quelques semaines, Steven Guilbeault admet aujourd’hui l’absence de progrès à la table. « Les fonctionnaires et moi-même sommes très déçus » , a-t-il affirmé cette semaine dans un entretien accordé à Radio-Canada.

Sonia LeBel n’y change rien

Malgré l’implication de la ministre responsable des Relations canadiennes, Sonia LeBel, la dernière rencontre entre les représentants des deux ordres de gouvernement, le 8 juin, n’a pas donné les résultats souhaités, et aucune nouvelle date n’a été arrêtée pour la suite des négociations.

« Ce qu’on comprend, c’est ce que la stratégie du gouvernement du Québec, c’est de gagner du temps pour essayer de trouver une solution après l’élection. Mais le caribou, lui, ne vote pas », a lancé le ministre Guilbeault, accusant la partie provinciale de ne pas avoir montré de bonne volonté ces derniers mois.

Il avait donné jusqu’au 20 avril à la province pour fournir certains renseignements, ce qui n’a pas encore été fait à la convenance du fédéral.

« On attend des choses de base. On a demandé que Québec nous communique des commentaires et des données pertinentes sur la protection du caribou. On n’envoie pas quelqu’un sur la Lune. Or à ce jour, on n’a toujours pas de réponse de la part du gouvernement du Québec là-dessus. »

— Une citation de Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique

Au cabinet de la ministre LeBel, on assure avoir présenté un plan de mesures de protection du caribou pour 2022-2023 il y a deux semaines, mais on refuse d’en dévoiler le contenu sur la place publique. « La balle est dans le camp du fédéral », a répliqué l’attachée de presse de la ministre.

Steven Guilbeault n’est pas du même avis. « Ils n’ont pas présenté de plan de protection qui va au-delà de ce que Québec propose déjà », a-t-il expliqué. Et c’est justement parce que Québec « n’en fait pas assez » qu’il est aujourd’hui obligé d’intervenir, a-t-il rappelé.

« On peut bien changer de couleur et présenter ça de façon différente, mais si, fondamentalement, on ne change pas la nature et la portée de la protection de l’habitat du caribou, ce qui est le point de départ à une entente, ce n’est pas sérieux. »

« Entêtement »

Le ministre s’estime d’autant plus déçu qu’il peine à comprendre « l’entêtement » du Québec dans le dossier. Le fédéral a annoncé ses couleurs des mois à l’avance sur un risque d’intervention, donc le Québec, croit-il, « agit en toute connaissance de cause. »

Selon M. Guilbeault, il existe pourtant un consensus sur les mesures à prendre pour aider les hardes de caribous. « Les Premières Nations, les syndicats, les experts et les groupes écologistes disent tous qu’il faut en faire plus », a-t-il insisté. La réduction des coupes forestières et la préservation de larges portions de forêts matures figurent en tête de liste.

« Je m’explique difficilement l’entêtement du gouvernement du Québec à refuser d’écouter la science sur cette question-là. »

— Une citation de Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique

À Québec, on tient d’abord à laisser la commission indépendante sur le caribou faire son travail et présenter ses recommandations. L’élaboration de la nouvelle Stratégie de protection de l’habitat du caribou n’est pas prévue avant 2023.

Plus tôt ce printemps, le premier ministre François Legault avait martelé que la gestion du caribou forestier était de compétence provinciale et qu’il n’entendait pas céder aux pressions d’Ottawa.

Steven Guilbeault garde donc le cap et doit présenter un décret quelque part d’ici la fin de l’été ou au début de l’automne.

Une lettre devait d’ailleurs être acheminée à Sonia LeBel cette semaine pour lui rappeler cette intention. « Ce que nous disons au gouvernement du Québec, c’est que nous allons de l’avant comme prévu. […] Il n’y a rien dans les conversations qui nous amène à modifier cette stratégie-là. »

Ottawa n’arrive toujours pas, cependant, à dire quand un éventuel règlement entrerait en vigueur. Le texte réglementaire devrait d’abord être approuvé par le Conseil des ministres. Il s’agirait de la première fois qu’un décret sur l’habitat essentiel serait utilisé depuis la mise en place de la Loi sur les espèces en péril au Canada, en 2002.

Pas sans les Autochtones

Le gouvernement fédéral travaille par ailleurs pour trouver d’autres moyens de protéger les hardes de caribous forestiers. Selon une source bien au fait du dossier à Ottawa, une entente avec Québec est désormais dans les outils « à moyen ou à long terme. »

À plus court terme, Ottawa se tourne vers les nations autochtones « pour faire progresser la conversation ». Des rencontres ont déjà eu lieu avec plusieurs communautés afin d’établir une entente sur la protection du caribou, même sans le Québec.

Le ministre Guilbeault y voit une condition non négociable. « Nous avons fait de la participation des Autochtones à la nouvelle entente entre le Québec et le fédéral une condition, ce que le gouvernement du Québec refuse jusqu’à maintenant, a-t-il commenté. Il est hors de question qu’il y ait une entente sans que les peuples autochtones soient à la table. »

S’il le faut, a ajouté le ministre, il y aura « deux ententes séparées ». Dans tous les cas, promet-il, « le gouvernement fédéral aura une entente avec les Autochtones au Québec ».

Recours judiciaires

Dans la dernière année, des communautés ont notamment menacé de poursuivre le gouvernement provincial et même le gouvernement fédéral s’ils n’appliquaient pas leurs lois pour protéger l’espèce. La nation huronne-wendat a aussi dénoncé le manque de collaboration du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs concernant les caribous de Charlevoix.

Il pourrait ne rester que 5252 caribous forestiers et montagnards au Québec, répartis dans une douzaine de hardes. Les estimations précédentes du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs faisaient état d’une population totale de 6500 à 8000 individus.

Au seuil de l’extinction, deux hardes québécoises vivent présentement en captivité, à Charlevoix et à Val-d’Or. La harde de caribous montagnards de la Gaspésie est aussi en grande difficulté, avec une trentaine de bêtes. D’autres populations de caribous forestiers sont en déclin au Québec, dont celle du Pipmuacan.