Publié le 18 mars

Source : Priscilla Plamondon Lalancette,  Martin Movilla. Radio Canada


Au lendemain des révélations de Radio-Canada sur la gestion chaotique des chemins forestiers et de l’épidémie de tordeuse qui permet de favoriser l’industrie forestière, de nombreuses organisations dénoncent le système de gestion des forêts québécoises et réclament des changements rapidement.

Selon l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, les problèmes troublants soulevés dans les reportages « viennent s’ajouter à une liste déjà longue de controverses : aires protégées, caribou forestier, respect des Premières Nations, gestion des travaux sylvicoles, acériculture, démobilisation des professionnels ».

Le président de l’Ordre, François Laliberté, estime qu’un coup de barre doit être donné, parce que les allégations qui s’accumulent concernant la gestion des forêts publiques deviennent insoutenables. « Il est temps d’arrêter d’éteindre des feux. Bien que le régime forestier actuel soit fondé sur de bonnes bases, sa mise en œuvre se doit d’être révisée et un bilan s’impose », dit-il.

Le système actuel est en place depuis plus de 10 ans. L’Ordre croit que c’est le moment de réfléchir collectivement à l’avenir de nos forêts, en tenant un sommet ou des états généraux. « L’important, c’est de s’asseoir pour revoir le modèle et s’assurer qu’on va chercher la vraie valeur du bois, qu’on implique les Premières Nations et pas seulement les gens du ministère et de l’industrie », soutient M. Laliberté qui prône une gestion décentralisée des forêts québécoises.
Du bois coupé en bordure d’un chemin forestier.

Les chemins forestiers sont construits pour permettre à l’industrie d’accéder à la ressource.

Québec solidaire veut une enquête publique

Québec solidaire croit que l’émission Enquête confirme que le ministère des Forêts est à la solde de l’industrie forestière. « La complaisance du ministre des Forêts appauvrit la population et met en danger la biodiversité. La population mérite des réponses », a déclaré Émilise Lessard-Therrien, porte-parole en matière d’environnement.

« La négligence de nos gouvernements depuis 30 ans menace nos cours d’eau, l’habitat d’espèces en danger et notre territoire, c’est tout simplement inacceptable« , a martelé celle qui exige une enquête publique sur la gestion du ministère des Forêts depuis des mois.

Nature Québec dénonce « une fraude de l’État « 

L’ONG environnementale Nature Québec exige qu’une commission d’enquête indépendante fasse la lumière sur la gestion des forêts publiques. « Hier, on a eu l’annonce d’une commission sur le caribou alors qu’on sait très bien ce qu’il faut faire. C’est une commission complètement inutile. Au contraire, nous ce qu’on demande, c’est une commission sur la gestion de la forêt, sur l’industrie forestière, sur le rôle du ministère des Forêts », explique la directrice générale Alice-Anne Simard.

Elle considère que les ententes secrètes entre le gouvernement et l’industrie forestière, sous le couvert de l’épidémie de tordeuse, sont épouvantables. « C’est une entente théoriquement sur la tordeuse qui s’attaque au sapin, mais ce n’est plus nécessaire de couper du sapin. C’est une fraude. Le gouvernement est en train de frauder les Québécois en complaisance avec l’industrie pour aller récolter la forêt sous de faux prétextes », s’indigne-t-elle.

« On a l’impression que le gouvernement donne [au] rabais nos forêts à l’industrie forestière pour les saccager. »
— Une citation de Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec

Dix-huit ans après la Commission Coulombe, Nature Québec veut savoir à quel point l’industrie forestière est viable sans les subventions allouées par le gouvernement.

« Les pratiques actuelles du ministère risquent de faire mourir l’industrie parce qu’on n’aura plus d’endroit pour exporter notre bois. Quand les États-Unis vont réaliser qu’il y a cette concurrence déloyale, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait des répercussions sur l’industrie forestière », ajoute-t-elle.
Un opérateur décharge un camion de bois.

92 % des forêts québécoises sont publiques.

Un scandale de longue date, selon Greenpeace

D’après Greenpeace, une enquête systémique doit être menée sur le ministère des Forêts. « Le ministère semble continuer de considérer les forêts simplement comme une opportunité pour les entreprises de réaliser des bénéfices. C’est un scandale« , indique Shane Moffatt de Greenpeace Canada.

L’organisme demande une surveillance accrue des activités des sociétés d’exploitation forestière qui ont un rôle central à jouer pour favoriser ou combattre l’infestation par la tordeuse.

« Le cas de la tordeuse nous montre une fois de plus que le ministère ne veut ou ne peut absolument pas servir l’intérêt public. Cela ne peut tout simplement pas continuer ou les générations futures en subiront les conséquences », souligne-t-il.
Action boréale répète qu’il faut une commission itinérante

Le mouvement Action boréale demande la tenue, une fois pour toutes, d’une véritable commission itinérante d’enquête publique sur la gestion des forêts et de la faune. « On n’a pas le choix de faire une commission indépendante. Si on est supposément capable d’en faire une sur le caribou, celle-là est incontournable »

– le président Henri Jacob.

Il considère que le ministère des Forêts a enfreint sa propre loi en octroyant du bois à prix réduit, en catimini, avec une mise aux enchères qui ne fonctionne pas. « C’est frauduleux et ça se fait en toute connaissance de cause du gouvernement. Que la même personne qui renonce au bois soit celle qui le rachète, c’est une pratique qui trafique la légalité », ajoute-t-il.

« On a les preuves que le gouvernement contourne les règles. Le ministère devrait jouer à la police, être l’avocat de nos forêts, mais il vend notre bois [au] rabais en cachette. »
— Une citation de Henri Jacob, président d’Action boréale

« Pourtant, c’est notre bien public et il devrait le gérer pour le bien du public », soutient-il.

Quant à la gestion des chemins forestiers, Action boréale conçoit mal que, même si la loi permet de les fermer, moins de 300 km aient été démantelés depuis 2006.
L’Association pour la protection du lac Kénogami réagit

À Saguenay, c’est l’intervention urgente de la vérificatrice générale du Québec qui est réclamée par les citoyens qui se battent pour obtenir une aire protégée depuis 18 ans au sud du lac Kénogami.

« Devant l’ampleur et la gravité des révélations, nous avons besoin d’une instance neutre et indépendante comme la VG pour enquêter et rétablir la confiance du public envers la gestion des forêts québécoises, qui appartiennent à toute la population », souligne Claude Collard de l’Association pour la protection du lac Kénogami (APLK).
Des hommes entourent un arbre géant.

Il faut au moins quatre personnes pour faire le tour des arbres géants qui se retrouvent au coeur du projet d’aire protégée au sud du lac Kénogami.

L’association demande également l’arrêt des coupes forestières dans l’aire protégée candidate.

« On perd un magnifique patrimoine qui nous appartient à tous, mais que le ministère des Forêts gère comme s’il lui appartenait. Il va falloir qu’un moment donné, il cesse de rire du monde », reproche M. Collard.

Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, n’était pas disponible pour réagir aux reportages présentés à Enquête.