Source: Martin Guindon, Radio-Canada

Publié le 9 décembre 2022


Le gouvernement fédéral octroie une aide financière d’un million de dollars sur quatre ans au Conseil de la Nation Anishnabe de Lac-Simon, en Abitibi-Témiscamingue, pour préparer une demande de désignation d’aire protégée d’utilisation durable auprès de Québec.

L’annonce a été faite vendredi matin à la COP15 sur la biodiversité, qui se déroule jusqu’au 19 décembre à Montréal. Ce financement provient du programme de conservation par zone menée par les Autochtones.

L’aide servira à faire la collecte du savoir traditionnel et à réaliser des inventaires du territoire, ainsi que des activités de communication et de mobilisation devant conduire au développement d’une stratégie et d’une vision propre à Lac-Simon.

L’aire protégée d’utilisation durable lui permettra d’y effectuer certaines activités économiques.

À la base, le territoire qu’on a ciblé est déjà mis en place. Il est déjà reconnu par le gouvernement provincial. C’est ce qu’on appelle la zone ZFFR, pour Zone faunique forestière et récréative. Elle a été mise en place en 2000. Il y a eu des ententes signées avec la Sépaq, dont une entente de 25 ans pour pondre des projets à caractère économique, tout en gardant toute la vocation culturelle, explique Ronald Brazeau, directeur par intérim du département des ressources naturelles de Lac-Simon.

Intégrer le caribou forestier

Selon Environnement et Changement climatique Canada, cette zone a été choisie pour sa grande biodiversité et la possibilité de pratiquer des activités traditionnelles. La mise en place éventuelle d’une aire protégée d’utilisation durable pourrait également bénéficier au caribou boréal.

Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec (MELCCFP) affirme ne pas se formaliser de cette aide financière de son vis-à-vis fédéral. Rappelons que le dossier de la protection du caribou forestier a été la source de tensions entre Ottawa et Québec au cours de la dernière année.

Tout appui financier du gouvernement fédéral dans le domaine des aires protégées qui s’inscrit et qui respecte le processus québécois de création et de planification des aires protégées sur le territoire du Québec est vu de manière positive par le Québec. Considérant que le financement du gouvernement fédéral vise à appuyer la Nation Anishnabe de Lac-Simon dans ses démarches auprès du MELCCFP pour proposer un projet d’aire protégée au Lac-Simon, cet appui est cohérent avec la volonté du Québec d’appuyer le leadership autochtone en conservation de la biodiversité au Québec, répond le ministère dans un courriel.

Ronald Brazeau précise pour sa part que la protection de la harde de caribous forestiers et la création d’une aire protégée sont des dossiers différents, mais complémentaires.

Un homme devant un micro s'adresse à une salle comble.

Ronald Brazeau avait témoigné lors des audiences de la Commission sur les caribous forestiers et montagnards en avril 2022. (Archives)

PHOTO : RADIO-CANADA / MARC-ANDRÉ LANDRY

La possibilité d’intégrer le caribou à l’aire protégée projetée sera analysée, selon lui. Elle est d’ailleurs située tout juste à l’est de l’aire protégée et du site faunique du caribou, au sud-est de Lac-Simon.

Peut-on l’emmener à une autre place? C’est là qu’on veut le mettre en lien avec l’aire protégée, celle que l’on veut faire. Il y a une connectivité, il y a de la place pour les caribous. Autrement dit, on veut dire à l’instance gouvernementale et à la population : ‘’Vous ne voulez pas l’avoir, on va l’emmener vers nous autres, dans un autre endroit’’. C’est le même principe qu’en agriculture, on le change de pacage. C’est comme ça qu’on le voit, nous autres. Mais avant de l’emmener dans un nouveau pacage, il faut créer l’habitat où le caribou va aller. Parce que présentement, ils sont dans un enclos. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, raconte Ronald Brazeau.

Gérer le territoire selon ses valeurs

Ce que souhaite surtout le Conseil de la Nation Anishnabe de Lac-Simon, c’est gérer une partie de son territoire de façon responsable, en phase avec ses valeurs, ses traditions et sa culture.

Le territoire, c’est notre identité. On appartient au territoire. On s’est fait tasser de tout bord, dépouiller de notre territoire et enclaver dans une réserve de 1 kilomètre carré. On n’est pas chez nous là-dedans. Notre vie, nos coutumes, c’est de vivre de la forêt. Se nourrir, faire des prélèvements, manger des poissons à notre guise. Ce qu’on dit, c’est : laissez-nous une partie du territoire pour le gérer. On veut une parcelle de territoire où on peut faire nos activités. Avoir un endroit où on peut vivre, où on peut faire nos activités. La culture, quand on parle de réconciliation, c’est de se réapproprier le territoire. On perd tous nos repères

Ronald Brazeau.

Ce dernier ignore quelle forme exactement prendra la demande d’aire protégée. Il rappelle que la communauté ne veut pas d’une cloche de verre sur le territoire visé. Elle veut y poursuivre des activités de nature économique, mais respectueuse de l’environnement et de ses propres activités socioculturelles.

Le projet rendrait donc possibles l’accès aux ressources naturelles et l’établissement de camps familiaux. Ceux-ci permettent la transmission intergénérationnelle et le maintien de l’identité et de la langue anishnabe. La communauté veut aussi privilégier sur ce territoire le développement de projets de mise en valeur de la biodiversité, par l’utilisation, la valorisation et l’exploitation durable des produits forestiers non ligneux, comme les champignons, les noix, les petits fruits, les plantes sauvages ainsi que de la microsylviculture.

Un territoire menacé, selon Lac-Simon

Ronald Brazeau dit aussi craindre que la fin prochaine de certains moratoires ne menace le territoire visé par le projet d’aire protégée. Selon lui, l’industrie forestière souhaite effectuer des travaux de récolte sur le site, en évoquant la menace de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Il soutient aussi que le territoire fait déjà l’objet de demandes de titres miniers.

On a fait des demandes pour reporter ou prolonger les ententes et moratoires en attendant qu’on caractérise le territoire. Je sais que, du côté des mines, il y a certains claims qui ont été demandés. C’est une de nos plus grosses craintes. On voit souvent partout au Québec, quand il y a un projet d’aire protégée, on rentre, on rase tout et après ça, il ne reste plus rien. Ce n’est pas avantageux pour nous, si on est obligés d’attendre 30 ou 40 ans avant que la faune ne revienne dans le territoire

Affirme M. Brazeau.

Selon Me Marc Bishaï, du Centre québécois du droit de l’environnement, Québec dispose d’outils pour empêcher que des titres miniers soient octroyés pendant la préparation du dossier. En vertu de l’article 304 de la Loi sur les mines, le ministre des Ressources naturelles peut, au moyen d’un arrêt ministériel, réserver à l’État ou soustraire à certaines activités toute substance minérale faisant partie du domaine de l’État pour la réalisation de travaux liés à la création d’aires protégées.