La mise en enclos de la harde est saluée, mais ne sera pas suffisante sans action pour restaurer l’habitat, selon des biologistes.
Sans une intervention massive pour réduire la présence du loup et de l’ours noir dans l’habitat du caribou de Charlevoix, la Nation Huronne-Wendat et un expert québécois croient que la harde ne pourra pas survivre, avec ou sans l’enclos de maternité que souhaite installer le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP).
Source: David Rémillard, Radio-Canada
Il ne reste plus que 19 caribous forestiers de Charlevoix et l’avenir s’annonce sombre.
Martin-Hugues St-Laurent, biologiste et professeur titulaire en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski, le répète depuis des années : pour aider les hardes de caribous forestiers et montagnards en déclin, partout au pays, il faut d’abord et avant tout restaurer leur habitat.
Concernant le caribou de Charlevoix, il faut un moratoire sur la coupe forestière sur une partie du territoire
, insiste-t-il encore en entrevue à Radio-Canada. Pour cette population isolée, qui fréquente une portion de la réserve faunique des Laurentides, la présence de jeunes forêts en raison de décennies d’exploitation forestière a eu un impact majeur, selon M. St-Laurent.
À son avis, le caribou de Charlevoix est le nouveau caribou de Val-d’Or
, dont il ne reste que six individus et dont la population a chuté pour des raisons similaires. On a déjà joué dans ce film
, déplore-t-il.
Voir des chiffres aussi petits, c’est inquiétant. […] Je trouve ça décourageant, mais en même temps, peut-être que c’est une autre manière de sonner l’alarme et de faire en sorte que ces erreurs n’arrivent plus dans le futur pour d’autres hardes.
Plus de loups
Les forêts en régénération offrent davantage de nourriture pour les herbivores comme l’orignal, explique-t-il. Et qui dit plus d’orignaux dit plus de nourriture pour les loups. Ces derniers gagnent ainsi en force et en nombre. En ajoutant le développement du réseau de chemins forestiers, ils ont gagné en efficacité
.
Les ours noirs profitent eux aussi de cet écosystème transformé en ayant accès à davantage de nourriture dans les jeunes forêts, comme des fruits et des graminées. En tant que prédateur opportuniste, l’ours représente ensuite un danger pour les caribous naissants, une proie facile et riche en protéines au printemps.
Autrement dit, l’équilibre est rompu, du moins ce qui concerne le caribou. Seuls deux faons ont été vus vivants lors du dernier rapport d’inventaire aérien du MFFP, réalisé en mars dernier.
70 à 80 %
Tout en restaurant l’habitat, et malgré la mise en place d’un enclos de maternité le printemps prochain, il faudra tout ou tard retirer de larges pans des populations de prédateurs, croit Martin-Hugues St-Laurent.
Actuellement, le MFFP se concentre sur des actions ciblées de gestion des prédateurs, prélevant un nombre relativement limité sur le territoire occupé par le caribou de Charlevoix.
Les ours noirs sont trappés depuis 2014 par la Nation Huronne-Wendat, mais seulement à des endroits jugés critiques pour la mise bas. Quant au loup, le piégeage n’a débuté que récemment mais va s’intensifier, affirme le MFFP. Le gouvernement vient de former environ 80 trappeurs supplémentaires.
Mais il faudrait faire beaucoup plus, selon M. St-Laurent.
Les programmes de contrôle des prédateurs, pour que ce soit efficace, il faut retirer entre 70 et 80 %. Vous voyez la tâche titanesque qui est devant nous.
Une telle opération se limiterait évidemment à l’habitat du caribou de Charlevoix.
L’expert convient qu’il s’agit d’une mesure extrême à ce stade-ci. L’erreur demeure selon lui d’avoir transformé la matrice d’habitat
et causé un déséquilibre pour le caribou forestier. Le contrôle des prédateurs, c’est comme vider une chaloupe percée avec une écope. Mais si on coupe de la forêt en même temps, on agrandit le trou
, image-t-il.
Dans le cas de Charlevoix, il ne reste plus assez de massifs forestiers pour abriter l’espèce, dit-il, et il faut compter jusqu’à 50 ans après une coupe pour ravoir un habitat propice au caribou.
« On va se faire juger »
Louis Lesage, biologiste et directeur du bureau du Nionwentsïo de la Nation Huronne-Wendat, abonde dans le même sens. Ce n’est pas les chemins qui mangent les caribous, ce sont les loups
, dit-il, appelant à s’attaquer aux prédateurs, véritables menaces à la survie de la harde à court terme.
M. Lesage souligne d’emblée que les Hurons-Wendats avaient signifié l’importance de trapper le loup et pas seulement l’ours noir, lorsqu’un partenariat a été mis en place en 2014 avec le ministère. La décision de trapper le loup a été prise l’automne passée, quelques années trop tard
, croit-il.
Comme M. St-Laurent, il ne voit pas un rétablissement du caribou forestier de Charlevoix sans le déploiement de mesures extraordinaires et concertées. Une famille de solutions incluant la mise en enclos, la restauration de la forêt et une importante gestion des prédateurs.
Si on ne fait rien, on va se faire juger par nos enfants et nos petits-enfants. Il faut faire tous les efforts possibles et imagina[bles] pour rétablir cette espèce-là.
Ironiquement, le contrôle des prédateurs avait été recommandé dès 2002 par des experts du gouvernement québécois. Une gestion intégrée des prédateurs et de leurs proies paraît nécessaire pour favoriser la survie du caribou de Charlevoix
, peut-on lire dans un rapport de la défunte Société de la faune et des parcs du Québec.
Le sort des hardes repose essentiellement sur le gouvernement provincial.
Les réponses et les stratégies seront déterminées par le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour. Ce dernier prévoit annoncer la nouvelle stratégie gouvernementale de protection de l’habitat du caribou forestier quelque part en 2022, pour une mise en application en 2023.