La stratégie de protection de l’habitat du caribou forestier devait être présentée en 2019, mais elle a été repoussée par le gouvernement Legault.

Publié le 27 octobre 2021

Source: David Rémillard, Radio-Canada


Alors que des hardes sont en situation critique et que de nombreux biologistes pressent le gouvernement d’agir pour aider l’espèce, la Coalition avenir Québec (CAQ) n’aurait pas l’intention de présenter de stratégie de protection de l’habitat du caribou forestier et montagnard avant 2024.

Pas plus tard qu’au printemps dernier, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) promettait le dépôt d’une nouvelle stratégie d’ici la fin de l’année 2021.

Or, selon nos informations, le ministre Pierre Dufour devrait plutôt annoncer, d’ici quelques semaines, la création d’une commission indépendante chargée d’analyser divers scénarios retenus par le gouvernement. Ces scénarios tiennent compte de nouvelles mesures de protection du caribou et de leurs répercussions socio-économiques, en particulier sur l’industrie forestière.

Selon nos sources, cette commission doit remettre ses recommandations quelque part en 2022. Le nouvel échéancier prévoit que le gouvernement n’aurait aucun plan concret à présenter avant les élections provinciales de l’automne prochain. Le déploiement de la stratégie n’est quant à lui envisagé qu’au début de 2024.

Le cabinet du ministre Pierre Dufour a refusé de commenter ou de confirmer nos informations. Le ministre aura l’occasion de faire le point au sujet de la stratégie caribou dans les prochaines semaines. Entre-temps, il n’y aura aucun commentaire, a répondu son attaché de presse.

Le MFFP, ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, a aussi refusé de répondre à nos questions.

Reporter les décisions difficiles

La possibilité d’un nouveau report de la stratégie circule déjà depuis quelques semaines au sein des mouvements écologistes. Les rumeurs courent qu’au sein du MFFP, oui, il y a des considérations de reporter le tout après les élections, rapporte Louis Bélanger, ingénieur forestier et membre de la commission forêts de l’organisme Nature Québec.

Selon ses dires, le gouvernement était à la recherche d’une formule visant à ne pas respecter son engagement de livrer la stratégie cet automne.

Le signal est clair. Le gouvernement du Québec ne veut pas prendre les mesures nécessaires pour protéger une espèce menacée et il tergiverse, dénonce M. Bélanger, qui joint ainsi sa voix à de nombreux experts ayant manifesté leur impatience face au gouvernement du Québec ces dernières années.

Il fait ce que font trop souvent les politiciens, c’est-à-dire reporter à plus tard les décisions difficiles. Et ça semble être la stratégie qu’a adoptée le ministre [Pierre Dufour] depuis trois ans.

Louis Bélanger, ingénieur forestier et membre de la commission forêts de Nature Québec

Même son de cloche du côté de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec). On a eu les mêmes informations à l’effet que la prochaine stratégie serait reportée, indique le directeur général, Alain Branchaud. Seule la nouvelle date butoir est jusqu’ici demeurée un mystère.

S’il s’avère, il s’agira du deuxième report du dépôt de la stratégie de protection de l’habitat du caribou depuis l’arrivée des caquistes au pouvoir.

En avril 2019, le MFFP avait en effet remis sa mise en œuvre en 2023. Sous des pressions politiques et de groupes écologistes, le ministre Dufour a ramené l’échéance à 2021, et donc avant la fin de son premier mandat. Les mesures de gestion de l’habitat et des populations de caribous forestiers et montagnards seront annoncées lors de la mise en œuvre de cette stratégie en 2021, affirmait-il à Radio-Canada en décembre 2020.

Des caribous dans un enclos se nourrissent dans un bac de bois.
Source photo: MFFP

Stratégie désuète

Pendant ce temps, des hardes de caribous forestiers et montagnards se meurent sur le territoire québécois, qui compte au total entre 6000 et 8500 individus.

Outre Val-d’Or, où on ne dénombre plus que sept caribous, les hardes de Charlevoix et de la Gaspésie ont atteint des seuils critiques, avec respectivement une vingtaine et une quarantaine de bêtes toujours en vie, selon les plus récents inventaires du MFFP. La population du réservoir Pipmuacan, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, montre aussi des signes inquiétants, notamment en raison de l’altération de l’habitat par les coupes forestières.

Louis Bélanger déplore les longs délais au gouvernement. Selon lui, la stratégie de protection actuelle, qui date de 10 ans, force le Québec à travailler à partir de vieilles prémices et de vieilles méthodes, qu’on sait obsolètes et inefficaces.

Vue aérienne de zones forestières où des coupes ont été réalisées
Source photo: Radio-Canada, Vue aérienne de la réserve faunique des Laurentides

Actuellement, le gouvernement réserve certains placards de forêt pour le caribou. Mais les hardes y sont à l’étroit, selon Louis Bélanger. On protège des massifs relativement petits, de quelques centaines de kilomètres carrés, explique l’expert.

Des travaux menés par le fédéral ont depuis déterminé qu’il était plus porteur de baser les mesures de protection sur le taux de perturbation dans de larges pans de l’habitat du caribou, aussi appelés les habitats propices.

Les nouvelles stratégies de protection des provinces doivent établir un taux maximal de perturbation pour des territoires à l’échelle de 5000 kilomètres carrésC’est ce taux de perturbation qui devient le facteur important, insiste M. Bélanger. La cible est de préserver 65 % de l’habitat des perturbations, autant humaines que naturelles.

Dans le secteur Pipmuacan, le dernier inventaire a montré des taux de perturbation de 70 à 80 %.

Il y a plein de hardes qui ne se trouvent pas suffisamment protégées avec la stratégie des petits massifs forestiers.

Louis Bélanger, ingénieur forestier et membre de la commission forêts de Nature Québec

Alain Branchaud presse pour sa part le gouvernement depuis des années à mettre de l’avant des mesures concrètes pour protéger les populations de caribou boréal au Québec. Le biologiste plaide notamment pour la création de vastes aires protégées exemptes d’exploitation forestière et la fermeture de chemins forestiers, qui favorisent les prédateurs du caribou.

M. Branchaud croit que le gouvernement peut agir même sans déposer sa nouvelle stratégie de protection de l’habitat. Fonder trop d’espoir sur un document, je pense qu’on fait fausse route, lance-t-il. Il rappelle que de nombreux rapports et travaux scientifiques, y compris ceux du MFFP, ont clairement identifié les mesures à prendre pour protéger l’espèce. Ne manque maintenant que la volonté politique.

La SNAP Québec est d’ailleurs d’avis que le MFFP en lui-même est dysfonctionnel, opposant la protection de la faune et la promotion de l’industrie forestière. Une décision prise d’un côté se fait nécessairement au détriment de l’autre, juge Alain Branchaud, qui milite pour rapatrier le secteur Faune au sein du ministère de l’Environnement.

Le forestier en chef va de l’avant

Sans la nouvelle stratégie de protection de l’habitat du caribou, le Bureau du forestier en chef s’appuiera sur l’ancienne pour calculer les possibilités de récoltes forestières pour la période 2023-2028. Ces calculs ont lieu en ce moment.

Les possibilités forestières seront annoncées dans quelques semaines [et] vont intégrer le plan de rétablissement de l’habitat du caribou forestier qui est en vigueur actuellement, confirme la porte-parole Lise Guérin.

C’est donc dire que les stratégies de protection, jugées désuètes par certains, continueront de s’appliquer aux récoltes des sept prochaines années.

Mme Guérin précise que des modifications pourront être faites en cours de route, en fonction de la stratégie de protection de l’habitat du caribou qui sera présentée. Mais ces modifications ne sont pas garanties et doivent d’abord être analysées par le forestier en chef.

Si un nouveau plan de rétablissement est adopté dans l’avenir, que des changements ou de nouvelles modalités sont apportés par le gouvernement, elles feront l’objet d’analyses d’impact par le forestier en chef, explique-t-elle, tout en assurant que les possibilités forestières peuvent être modifiées au cours d’une période quinquennale.

Une intervention du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs sera nécessaire pour modifier les possibilités forestières pour la période ciblée.