Ce serait drôle si ce n’était pas si triste. Pour protéger le caribou forestier, le Québec en est réduit à placer les bêtes dans des enclos… ou à trapper les loups qui les menacent.


Des stratégies désespérées, à courte vue. L’équivalent de lancer une boîte de pansements à un malade qui se vide de son sang.

Le caribou forestier a été déclaré vulnérable en 2005. Les populations déclinent partout dans la province.

À Val-d’Or, la harde ne compte plus que sept individus qui vivent en enclos. Dans Charlevoix, on planifie aussi un enclos pour sauver la vingtaine de caribous qui restent. Un aveu clair que la forêt ne leur convient plus

En attendant, Québec embauche des trappeurs de loups pour limiter les dégâts.

Un véritable plan de rétablissement ? Le gouvernement Legault vient de le repousser en 2023. Le prétexte : il cherche encore les causes du déclin. Pour ça, il vient de lancer une « commission indépendante ».

Ça aussi, ça pourrait être drôle si ce n’était pas si triste. Parce qu’après des années d’études, on n’a nul besoin d’une commission pour élucider le grand mystère du déclin du caribou forestier.

La cause principale, c’est la perturbation de son habitat par l’industrie forestière.

Ce n’est pas une présomption lancée en l’air. C’est démontré par la science. Des chercheurs québécois ont publié des recherches à ce sujet dans les plus grandes revues scientifiques du globe.

Les biologistes qui consacrent leur carrière à l’étude de cet animal sont d’ailleurs à bout de patience.

« On pourrait parler pendant des heures de toutes les pièces du puzzle qu’on a été capable de démontrer scientifiquement entre l’aménagement forestier et le déclin du caribou forestier. On comprend le mécanisme de A à Z » tonne Martin-Hugues St-Laurent, à l’Université du Québec à Rimouski, qui étudie le caribou forestier depuis 15 ans.

« On en sait plus qu’assez pour agir. C’est frustrant : on offre des solutions, mais on n’est pas écoutés », renchérit Daniel Fortin, de l’Université Laval, qui mène des recherches sur le caribou forestier depuis 2004.

L’affaire s’explique pourtant simplement. En coupant les arbres, l’industrie forestière favorise la repousse d’une végétation plus facile à manger pour les orignaux. Ceux-ci affluent dans les zones de coupe, entraînant les prédateurs dans leur sillage. Le loup, notamment, profite des chemins forestiers pour chasser plus efficacement. Et il s’en prend aussi au caribou, plus fragile que l’orignal.

Ces explications, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs préfère faire semblant de ne pas les comprendre. Il élargit maintenant le champ d’études aux rennes de la Laponie. Il se demande s’il n’y aurait pas moyen de rejeter la faute sur les changements climatiques.

Bref, il fait diversion. Devant l’évidence, il alimente le doute. Cela rappelle les stratégies du lobby du tabac, il y a quelques décennies.

Le Ministère a bien fermé quelques chemins forestiers, mais cela ne s’inscrit dans aucun plan à grande échelle. On préserve aussi des massifs de la coupe… mais on hausse le volume total de bois pouvant être prélevé. La preuve que ça ne marche pas, c’est que le caribou poursuit son déclin.

Les aires protégées aideraient. Mais on mesure ici les effets tragiques de les concentrer au nord de la province, en laissant le gros de la forêt boréale aux entreprises.

Devant l’inaction de Québec, des communautés innues et la Société pour la nature et les parcs préparent des poursuites pour obliger Ottawa à intervenir. Le signe d’un manque flagrant de leadership.

Bien sûr que la conciliation entre l’industrie et la protection de la faune est difficile. Mais il faut aborder la question de front au lieu d’ignorer les faits si on veut trouver des solutions.

Dans cette histoire, le caribou est le canari dans la mine. Le symbole que quelque chose cloche dans nos forêts. Cela affectera bien d’autres espèces. Et devrait préoccuper ceux qui vivent de ces forêts.

Québec manœuvre pour gagner du temps. Le caribou, lui, n’en a plus.